mardi 28 février 2017

Souvenirs du cirque

Alexandre Romanès, Les Corbeaux sont
les Gitans du ciel, L'Archpel, 280 pages, 19 €
" J'ai eu beaucoup de discussions avec Jean Genet à propos du cirque, écrit Alexandre Romanes. Un jour, il m'a demandé : " Est-ce que tu as aimé faire un numéro avec des lions ? " Il m'a posé cette question parce qu'il y avait de plus en plus de gens qui trouvaient insupportable de maintenir des animaux sauvages en captivité.
J'ai répondu que j'avais aimé cela, mais que c'était quand même triste de voir ces animaux magnifiques dans une cage. Jean était silencieux. Il réfléchissait. Et il m'a raconté une histoire qui s'était passée dans la Grèce antique.
Les pierres qui servaient à la construction du Parthénon d'Athènes venaient de loin. Elles étaient transportées par des ânes qui partaient dans tous les sens. Comme les pierres n'arrivaient pas, les Athéniens s'étaient réunis pour trouver une solution. Et ils avaient décidé, pour être efficaces et pour que les ânes marchent droit devant eux, de leur crever les yeux. "
C'est une des mille histoires (est-elle historiquement exacte ?) que raconte Alexandre Romanes dans son livre de mémoires. Romanes est issu de la famille Bouglione, une des plus illustres familles du cirque, qui dirige le cirque d'Hiver, à Paris, depuis les années 1930. En 1994, il publia aux éditions Le Temps qu'il fait Le Premier cirque tsigane d'Europe et, en 1998, chez le même éditeur, Un peuple de promeneurs, que suivit un recueil de poèmes publié par Gallimard.
Dans ses souvenirs liés au monde du cirque tsigane et au nombreuses rencontres qu'il fit au cours de sa vie,  Romanès ( qui est un nom de guerre) n'envoie pas dire ce qu'il a à dire. Ceci, par exemple : " Je me souviens d'une comédienne qui avait eu l'honnêteté de dire [au sujet d'un journaliste d'une grande chaîne de télévision] : " Je ne sais pas pourquoi je suis là car je n'ai rien à dire. " La malheureuse, elle ne sait pas que c'est précisément parce qu'elle n'a rien à dire qu'elle est invitée. "



lundi 27 février 2017

Deux mots sur la Turquie

Ahmet Insel, La Nouvelle Turquie d'Erdogan,
La Découverte, 137 pages, 10 €
 
Pour prendre des nouvelles de la Turquie, on peut se reporter à l'essai d'Ahmet Insel. Bien sûr, bien sûr...
On peut également s'en référer à un poète. Est-ce moins sûr ? Ce sont nos amis de Bleu Autour
qui publient ce recueil d'Ôzdemir Asaf (1923-1981) sous un titre magnifique, Après moi le bonheur.
Le livre s'ouvre sur la présentation nécessaire de cet homme de lettres francophone, traducteur de nombreux écrivains français. dont les poèmes sont restés inédits dans notre langue. C'est la propre fille du poète qui conclut le recueil par ces notes intimes :
« Mes parents maîtrisaient  l'un et l'autre le français. Ils le parlaient entre eux quand ils ne voulaient pas que je le comprenne. J'étais une enfant curieuse.
Un jour, j'avais transcrit sur une feuille des bribes  de leur conversation que j'avais retenues. Quelques jours après, j'ai relu la phrase que j'avais notée. 

Elle était très étonnée.  Elle m'a demandé où j'avais entendu ça. Comme j'écoutais tout le temps la radio, j'ai répondu : " À la radio, dans une chanson ! " Ma mère se mit à rire. En l'occurrence, mon père avait dit à ma mère : " Je ne pourrai  pas régler le loyer avant le début de la semaine prochaine." »
Comme quoi les poètes turcs ne sont pas plus argentés que leurs homologues dans le monde.
Ce qui ne les empêche d'écrire des choses comme celles-ci :

LA BALLADE DE L'AMOUR

Tu me rappelles à moi, à moi-même,
Dans ce que tu dis, dans ce que tu entends,
Dans ce que j'écris, toi à moi, toi à moi-même,
Même si je ne le dis pas, dans ce que je ne cache pas.
Ah ! J'ai toujours, toujours ça dans ma mémoire ;
Tu te rappelles à toi, à toi-même,
Dans tes yeux, tes oreilles, tes lèvres.

Signé Ôzdemir Asaf .


Ôzdemir Asaf , Après moi le bonheur, traduction du turc
de Gaye Petek avec Pierre Vincent,
dessins Ismail Yildirim, préface Ayşe Sarisayin,
Epilogue Seda Arun, Bleu autour, 232 pages, 15 €

dimanche 26 février 2017

La forme de Lyon

                                                                        Il ne s'agit pas de la forme de l'Olympique lyonnais !
Gilbert Vaudey, Le Nom de Lyon,
Bourgois, 374 pages, 17 €
Mais c'est après avoir passé un après-midi dans les rues de Lyon (et dans quelques librairies, surtout le Bal des Ardents) que le libraire de retour a pensé à signaler un livre paru  en 2013 : Le Nom de Lyon, de Gilbert Vaudey.
Voilà un excellent guide. Non pas destiné à favoriser les achats du visiteur dans les rues commerçantes ni même dans les meilleurs bouchons, mais pour donner à sentir les ambiances des différents quartiers ; leur architecture ; leur histoire ; leurs métamorphoses plus ou moins récentes. La précision du regard et de la phrase de Gilbert Vaudey, Lyonnais de naissance, d'adolescence et d'âge mûr, fait merveille. Elle s'applique à des itinéraires personnels à travers la ville et ses différentes parties, qu'elle soit parcourue par flânerie ou par obligation de se déplacer.
L'ouverture en est révélatrice de l'ensemble des parcours effectués et des émotions ressenties : " La ville, c'est bien ainsi, avais-je imaginé, qu'elle devait être saisie ou qu'elle viendrait à s'offrir : par une grâce ou une effraction peut-être, dans la formule de son tissu ; non de l'extérieur, d'une hauteur qui au regard livrerait en bloc l'étendue et le site, mais du cœur même, d'un centre que seul un rêve jusqu'ici avait pressenti. Et c'est bien ainsi qu'une nuit, pour celui qui marchait, pour des yeux grands ouverts, la ville, sans rien trahir de ses instances, s'était livrée. "
Le ton incontestablement gracquien de l'essai (entre histoire personnelle et collective) incite le libraire à conseiller la lecture ou la relecture de La Forme d'une ville, où l'on pourra laisser errer  son imagination à travers une grande ville, autre que Paris, qui s'appelle Nantes.


Julien Gracq, La Forme d'une ville,
José Corti, 216 pages, 19 €

samedi 25 février 2017

La Fête de la librairie approche

Ce jour-là les libraires indépendants distribueront, gracieusement,
un livre tiré à 23 000 exemplaires qui s'intitule : Le Corps du Livre.
Ce livre, sera un livre de passion sur le livre, sur tous les livres.
 L'ambition est de faire surgir des coulisses ces métiers de l'ombre :
les typographes, les graphistes, les illustrateurs, les maquettistes.

vendredi 24 février 2017

Camille Pissarro est d'actualité


Claire Durand-Ruel Snollaerts,
Pissarro, le premier des impressionnistes,
 Hazan, 208 pages, 29 €
L'exposition qui a actuellement lieu au musée Marmottan à Paris remet en lumière l'un des peintres les plus attachants du XIXe siècle qui n'en compta pas peu.
Le libraire se souvient des heures qu'il passa à lire in extenso (sinon, ce n'est pas de jeu) les milliers de pages que compte la correspondance de Pissarro, amoureusement, le mot n'est pas trop fort, éditée par Janine Bailly.
Camille fut au centre du mouvement pré-impressionniste et impressionniste par ses recherches incessantes et ses accomplissements. Il fut aussi un militant 
concerné par la défense des artistes ; un père attentif au développement de son fils Lucien, un tantinet chef de tribu ; une personnalité respectée. Sa réputation auprès du public n'atteint peut-être pas actuellement celle de Manet, de Monet ou de Cézanne, autres refusés, autres indépendants. Mais sa stature, d'homme et d'artiste, est indéniable, foi de libraire !
En attendant la parution de Camille Pissarro, fenêtre sur la ville, entièrement consacré aux toiles urbaines du maître d'Eragny (il fut parmi les premiers à être attentif aux éléments industriels dans le paysage et aux lisières des villes), Camille Pissarro, le premier impressionniste est déjà sur la table du rayon livres d'art. La vie et l'œuvre du peintre y sont relatées. Ses toiles les plus marquantes y sont reproduites. Sa Vue de l'Hermitage du temps où il peignait dehors avec Cézanne ; sa merveilleuse Jeune fille à la baguette, reproduite en couverture ; ses Vergers en fleurs, ses paysannes et le Jardin des Mathurins, îlôt de félicité bourgeoise et romantique. 
Un numéro hors série de Connaissance des arts vient également de paraître. Ne manquez pas le rendez-vous que vous donne le doux Camille.

Claire Durand-Ruel Snollaerts, Camille Pissarro, fenêtre
sur la ville, Editions Les Falaises, 82 pages, 19 €
(parution mars 2017)

jeudi 23 février 2017

Le Grand Débat à Vichy

A l'affiche de la 7e édition :
 
 
Le programme  détaillé est disponible à la caisse et près de canapé rouge

mercredi 22 février 2017

Les perspicaces (1)

Certains ont du flair :
 
Roger Price, Votez " Moi d'abord ",
traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Frédéric Brulent,
Wombat, 160 pages, 18 €
 
Roger Price était un humoriste états-unien, né en 1918, mort en 1990.
Auteur de romans, de comédies et dessinateur,
il créa dans les années 1960 une galerie d'art consacrée à la bande dessinée.
Le voici :

 
 

 

mardi 21 février 2017

Le retour de la Petite Dame

Jacques Roussilat, Maria Van Rysselbergue,
la Petite Dame d'André Gide,
Pierre-Guillaume de Roux, 270 pages, 24,50 €
Le nom de Maria Van Rysselbergue (1866-1959), alias la Petite Dame, n'est pas de ceux que l'on croise à la Une des journaux. Raison de plus pour en dire aujourd'hui deux mots.
Elle fut une grande amie d'André Gide (mais Gide fait-il la Une ?), une inconditionnelle même, et se lia avec d'innombrables artistes et écrivains de son temps : de Maerterlinck à Henri Michaux (Belges, comme elle) en passant par le cercle de La NRF (les éditions Gallimard). Mais Maria Van Rysselbergue a surtout laissé son nom à une œuvre unique en son genre : la tenue des Cahiers de la Petite Dame, entièrement consacrés aux faits gestes de l'ami Gide, depuis 1928 jusqu'à 1951, année de la mort de celui qu'elle surnommait " le Bipède ". Rédigé à l'insu de Gide lui-même, le document de la Petite Dame compte "plus de deux mille sept cent cinquante pages dactylographiées " qui furent publiées chez Gallimard à partir de 1973. " Combien de fois devra-t-elle, dit Jacques Roussillat, glisser sa copie sous la couverture ou dans un tiroir en entendant son voisin gratter à sa porte " (Gide et Maria étaient, en effet, voisins).
C'est sous le titre de Maria Van Rysselbergue, La Petite Dame d'André Gide, que paraît aujourd'hui cette bibliographie chargée de réhabiliter la confidente et ardent soutien de l'auteur des Nourritures terrestres (1897), des Faux Monnayeurs (1925) ou du Retour d'URSS (1936).

La Petite Dame et son Gide

lundi 20 février 2017

Samedi BD (22)

Au cœur de ce numéro 22 de SAMEDI BD (qui eut exceptionnellement lieu un troisième samedi du mois : rappelons que la réunion a habituellement lieu tous les deuxièmes samedis),
ces cinq albums :
 
Philippe Berthet & sylvain Runberg, Motorcity,
Dargaud,  64 pages, 14,99 €

Duhamel, Le Retour,
Grand Angle, 96 pages, 18,90 e

Rodolphe, Griffo, Dickens & Dickens,
Vents d'Ouest, 54 pages, 14,50 €

Valéry Vernay, Emilie Alibert, Denis Lapière,
Rose, Dupuis, 48 pages, 12 €

Navie, Carole Maurel, Collaboration horizontale,
Delcourt/mirages, 146 pages, 17,95 €
 

dimanche 19 février 2017

Du repos

Giuseppe Rensi, Contre le travail,
traduit de l'italien par Marie-José Tramuta,
Allia, 142 pages, 12 €
" Nous avons désormais devant nous tous les éléments qui permettent d'éclairer l'insolubilité radicale et éternelle du problème du travail.
Etant esclavage, le travail est contraire à l'essence spirituelle de l'homme, qui exige la totale liberté du jeu et de la contemplation. Dans le même temps, il est la condition sine qua non de la vie et, partant, de la vie spirituelle. Il faudrait pour jouir pleinement et librement de notre vie spirituelle, que tout nous fût donné sans travailler, car si le travail, c'est-à-dire notre vie, nous permet de nous procurer les moyens pour accéder à une vie spirituelle, il ne reste plus de temps, c'est-à-dire plus rien de notre vie, pour nous consacrer à elle. Comme il nous faut travailler pour obtenir la moindre chose, la vraie vie, la vie propre de l'esprit humain, nous reste interdite. "
L'auteur de ce raisonnement impeccable n'est pas un sociologue qui cherche à " rendre le travail supportable ", ni un chômeur, ni un homme politique se présentant à la plus haute fonction de l'Etat dans la France d'aujourd'hui.
Il se nomme Giuseppe Rensi, né en 1861 et mort en 1941 en Italie.
Ce philosophe et avocat rédigea son texte en  1923 et eut le mérite insigne de ne pas y aller par quatre chemins.
Yves Clot et Michel Gollac,
Le Travail peut-il devenir supportable ?,
Armand Colin, 244 pages, 22 €
 





samedi 18 février 2017

Que vivent les Alpes !

Dictionnaire thématique des Alpes, sous la
direction de Sylvain Jouty  avec le collaboration
de Daniel Léon, Glénat, 1024 pages, 27 €
Quel plaisir de vagabonder entre les pages de ce Dictionnaire thématique des Alpes ! Pour être sérieux (le libraire en donnera plus bas quelques preuves), l'ouvrage s'offre aussi à fouetter l'imagination. Tous les souvenirs, flous ou précis, qui furent emmagasinés durant nos séjours, ou nos passages, par ces montagnes se trouvent ressuscités à sa lecture. Ces torrents, ces petits lacs au printemps, ces formes géologiques, ces racines, ces airelles (baies " légèrement hypnotiques "), ces bouquetins, ces clématites, ces noms de lieux parfaitement magiques : Jungfrau, Val d'Aoste, Brienz, Engadine, Grandes Jorasses, Lauterbrunnen, col du Brenner...
Mais savez-vous ce qu'est un torrent ? Eh bien, c'est un " petit organisme hydrologique situé en amont du système fluvial, drainant les vallées de montagnes et alimentant les rivières et les fleuves en débit liquide et solide. " Savez-vous ce que désigne la nivation ?  Ou une nappe de charriage ?  Un poljé ? Un spigolo (à ne pas confondre avec un gigolo) ?
Ce vocabulaire, qui n'est pas dénué de poésie, nous introduit à l'important aspect scientifique de l'ouvrage. Celui-ci est divisé en sections : Géographie, Environnement ; Territoires ; Histoire ; Patrimoines, Cultures, etc., etc. Il donne les clés de la faune, de la flore, de l'humanisation, de l'équipement, du climat, de la géographie des Alpes.
Chaque notice est, de surcroît, rédigée dans une langue impeccable, dont raffole le libraire.
Un dictionnaire des Alpes qui comporte, pour finir, des entrées René Daumal, Corinna Bille, Ludwig Hohl, Rigoni Stern ? Le libraire en redemande.
Il va essayer de ne pas laisser retomber son enthousiasme à l'aide d'un petit traité intitulé L'Euphorie des cimes, où il est question de la montagne et de dépassement de soi. Puis, après sa journée passée auprès de ses clients, il ira se reposer.

Anne-Laure Boch, L'Euphorie des cimes,
Transboréal, 94 pages, 8 €

vendredi 17 février 2017

On a retrouvé Proust

Marcel Proust, A la recherche du temps perdu,
Quarto, 2408 pages, 35 €
En voulez-vous la preuve ? Voici la photographie issue d'un petit film exhumé par Jean-Pierre Sirois-Trahan , un chercheur canadien et authentifié par les proustiens.
Selon le journal Le Monde, " il s’agit d’un film de mariage, celui d’Armand de Guiche et d’Elaine Greffulhe, qui montre l’aristocratie du faubourg Saint-Germain. Parmi les invités de marque, un inconnu. A la différence des autres hommes, coiffés pour l’occasion d’un haut-de-forme et habillés d’une jaquette, l’homme porte un chapeau melon et un pardessus gris perle. Il descend précipitamment les escaliers de l’église de la Madeleine, à Paris (à la 37e seconde dans la vidéo). "
Le libraire ne pouvait manquer cet instantané.


jeudi 16 février 2017

Le roman de demain

Sophie Divry, Rouvrir le roman,
Notabilia, 208 pages, 14 €
" Finalement, c'est une idée simple, affirme Sophie Divry à la première ligne de son essai. Pour moi,
le roman, loin d'être un genre mort, bourgeois ou dépassé, réservé aux amateurs d'histoires simples, demeure un genre des plus inclusifs et des plus féconds pour engager la littérature dans des voies créatives nouvelles. Le roman n'est pas contraignant, compromis, pauvre, forcément narratif, vulgaire ou corrompu. Plus que jamais, il est, comme disait Virginia Woolf, " le plus hospitalier des hôtes ", réfractaire à toute limite, monstre hybride et stimulant, ouvert à toutes les fantaisies (...) ".
Il n'y a plus qu'... Ou, comme disent les amis anglais : " the proof of the pudding is in the eating ", c'est à ses fruits que l'on connaît l'arbre.
Du reste, les huit romans sélectionnés pour le Prix des Lecteurs A la Page 2017, prouveront sans doute que Sophie Divry a raison. Incessamment. Tenez-vous informés.
Jury en pleine action (2016)

mercredi 15 février 2017

Le charme d'une photo

Regardez bien ces deux couvertures : l'illustration qu'elle utilise est signée Norman Parkinson (1913-1990), photographe de mode anglais.
Mais, petite panne d'imagination des maquettistes ou hasard, la même photographie se trouve mise à contribution pour deux romans situés dans des cadres entièrement distincts...
C'était notre terre, de Mathieu Belezi (paru en premier, l'honnêteté oblige de le dire), se déroule en Algérie. Tandis que le roman de Carla GuelfenbeinÊtre à distance, prend place au Chili.

Mathieu Belezi, C'était notre terre,
Livre de poche, 510 pages, 7,60 €

Carla Guelfenbein, Être à distance,
roman traduit de l'espagnol (Chili) par
Claude Bleton, Actes Sud, 316 pages, 22,50 €

La même dame avec son chic chapeau, ses gants blancs, son sac en croco et sa mallette de voyage  se dirige vers le lecteurs d'un pas assuré.
Le cliché a du charme, c'est vrai, et les libraires ont un grand sens de l'observation.

mardi 14 février 2017

Nos nuits

Michaël Fœssel, La Nuit. Vivre sans témoin,
Autrement, 170 pages, 14,90 €
" Les hommes sont nombreux à marcher de jour et peu à le faire de nuit ", écrivait l'américain Henry David Thoreau (1817-1862). Et il ajoutait : "La nuit est une saison fort différente. Soit une nuit de juillet, par exemple. Sur le coup des dix heures, – tout le monde dort, sa journée honnêtement oubliée, – la beauté du clair de lune illumine les prés déserts où les troupeaux paissent en silence. De toutes parts, du nouveau surgit. La lune et les étoiles remplacent le soleil ; l’engoulevent succède à la grive des bois ; les papillons dans les prairies s’effacent devant les lucioles, ces pointes de feu ailées – qui eût pu l’imaginer ? "
Et cependant, lui répond aujourd'hui Michaël
Fœssel , " les raisons de ne pas aller à la nuit ne manquent pas. Celui qui veut dormir invoque l'heure avancée, le froid ou les contraintes du lendemain. Dans tous les cas s'impose le sentiment qu'une aventure nocturne (escapade ou veille) mènerait " trop loin" : non seulement au-delà de ce que peut le corps, mais dans des lieux incertains desquels on n'est pas sûr de ramener autre chose que de la fatigue. "
Le libraire, lui, se souvient de ses veillées de l'enfance et de la jeunesse et de diverses expériences de la nuit. Il penche du côté de Thoreau. Michaël Fœssel, du reste, précise : " Il y a un sens à entrer dans la nuit, même au risque de devoir en sortir. La question est devenue urgente parce que la sensation de sortir une fois pour toutes de la nuit n'a jamais été aussi grande. Pour ne plus être altérée par les crépuscules et les aubes, l'humanité dispose désormais de toute une série de techniques lumineuses. Celles-ci s'ajustent à merveille aux injonctions en faveur d'un temps homogène où aucune limite ne fait plus obstacle aux impératifs de productivité et de transparence."


... Quant aux Nuits de laitue, le roman excentrique de Barbara Vanessa, dont nous avions fait l'éloge (voir le billet du 27 août 2015), il paraîtra au format de poche au mois de mai prochain. Un peu de patience, s'il vous plaît. Et que vos nuits soient bonnes.

lundi 13 février 2017

Un mot sur Jean-Claude Pirotte

Jean-Claude Pirotte, Traverses,
Cherche midi, 90 pages, 14 €

De Jean-Claude Pirotte (né en 1939, disparu en 2014) viennent de paraître simultanément des pages de journal sous le titre Traverses (2010-11) et un recueil de poèmes, intitulé Jours obscurs. Dans le premier, il ne mâche pas ses mots, comme dans cette note du 25 octobre 2010 :
" Les livres que je reçois, comme il m'est difficile de ne pas les haïr. Et tant pis pour moi, je l'ai bien cherché comme on dit. Je me suis lancé dans cette entreprise de "chroniqueur de poésie" sans mesurer le risque de dégoût qu'elle me ferait courir. Car la plupart des poètes que me voici contraint de lire entretiennent ma répulsion pour le clinquant, la fausseté, la trivialité. La bonne volonté même, l'honnêteté de certains d'entre eux m'affligent et m'encolèrent. Comment peuvent-ils être aveugles -- ou complaisants à ce point ? "
Voilà qui est dit et fermement dit.
Dans son second livre posthume, Pirotte paie d'exemple et met en pratique sa vision de la poésie :

La chanson que nul joueur n'écoute
dans l'angle du café s'épuise
et l'on entend battre les cartes
et frapper du poing sur la table,

exactement comme il fait. Et le poème continue :

un mot seulement se détache
trèfle ou cœur sous la lampe sourde
et le tapis vert luit d'usure
et grisonne sous les coudes

il nous reste peu de temps sur terre
et pourtant la chanson recommence
le disque rayé tourne encore
quand s'éteignent les néons du bar

Rien chez lui qui soit clinquant, faux ou trivial.
Jean-Claude Pirotte, Jours obscurs,
Cerche midi, 182 pages, 18 €

dimanche 12 février 2017

Taniguchi, l'homme qui marchait

Jurô Taniguchi est décédé samedi 11 février.
Le mangaka (auteur de mangas) était en particulier connu pour Quartier lointain (1998), son plus grand succès en France, mais également L’Homme qui marche (1995) et, l'an dernier, Rêveries d’un gourmet solitaire.
Voici comment Casterman (son éditeur en France) le présente :
« Né en 1947, Jirô Taniguchi débute dans la bande dessinée en 1970 avec Un Été desséché. Depuis, au fil d'une œuvre prolifique, le mangaka le plus apprécié du public francophone explore de front une multitude de veines : fresques historiques, westerns, polars hard-boiled, sagas animalières, adaptations littéraires et récits intimistes. Le premier volume de Quartier Lointain, qui a remporté lors du festival d'Angoulême 2003 l'Alph'Art du meilleur scénario, a également reçu le prix Canal BD des librairies spécialisées. Ce titre, également plébiscité par le public, a été adapté au cinéma et au théâtre. » « Véritable passeur entre le manga et la bande dessinée occidentale, il a bâti une œuvre dont la variété de tons et de genres est exceptionnelle », ajoute Casterman.

samedi 11 février 2017

Porter ses pas dans Paris

Alexander Werth, Les Derniers jours de Paris,
Slatkine, 287 pages, 20 €
Journaliste britannique, correspondant du Guardian à Paris, Alexander Werth (1901-1969) a tenu en français son journal de L'Occupation. Ce sont des notes prises au jour le jour en juin 1940, avant qu'il faille quitter la capitale. Un carnet parisien, rédigé avec le pressentiment que la fête (celle de la ville, celle de la vie) était terminée pour une génération. Et qu'il fallait vite revoir les lieux aimés.
" Je fourre dans la valise diverses choses auxquelles je tiens -- parmi lesquelles trois livres : Candide, Les Âmes mortes de Gogol et le Journal de Gide ; et dans ma poche je mets La France de Péguy. J'enveloppe le Matisse ; mais il n'y a pas de place dans la valise pour le Derain ; tant pis, il faudra le laisser. C'est  dommage. Au bureau, je regarde ma table de travail ; dans les tiroirs, il y a des papiers et des lettres ; rien de compromettant ; je ne prends pas la peine de les détruire. Je regarde par la fenêtre, et j'ai une envie folle de faire encore une promenade dans ces rues de Paris dont je connais tous les pavés. Si seulement je pouvais aller sur la rive gauche ! Mais c'est trop loin. Je sors, et je remonte le boulevard des Italiens jusqu'un peu plus haut que le carrefour Drouot. Le magasin de chez Pillot est toujours rempli de chaussures ; les rues sont pleines de monde ; il y a même un cinéma ouvert. Etrange. Des autos filent, moins nombreuses toutefois que ce matin. Il fait chaud. Il y a du soleil. C'est un vrai jour d'été parisien. "
Claude Eveno, né en 1945,  a passé son enfance et sa jeunesse dans la capitale d'après-guerre, quand l'occupant avait heureusement déguerpi.  Ceci est son journal de promenades urbaines, quinze " voyages " menés le nez au vent des rues, des places et des jardins. Enseignant en urbanisme, il connaît son sujet, il a sa propre culture urbaine et sait qu'une ville ne se compose pas uniquement de zones monumentales, de quartiers vedettes. Il choisit ses parcours en surface, fait ses tours et ses écarts comme il le sent, là où la physionomie des rues l'attire, au centre ou à la lisière. Chaque pas, chaque pierre comptent dans cet arpentage minutieux.

Claude Eveno, Revoir Paris,
Christian Bourgois, 347 pages, 18 €


jeudi 9 février 2017

La libido du libraire

A l'approche du 14 février, jour de la Saint-Valentin,
certains ouvrages fleurissent opportunément sur l'étal du libraire.
Voici trois de ces fleurs qui vous laissent cinq jours de réflexion :
 
Brigitte Bulard-Cordeau,
Expressions amoureuses expliquées,
Chêne, 96 pages, 4,90 €
 
Jean-Claude Kaufmann,
Saint-Valentin mon amour,
Les Liens qui libèrent, 234 pages, 18 € 
Jean-Claude Bologne,
Histoire du coup de foudre,
Albin Michel, 318 pages, 21,50 €

mercredi 8 février 2017

Rimbaud à vendre


Non, il ne s'agit pas d'un album conseillé par Géraldine lors de l'un de ses SAMEDI BD !
Ce que vous voyez-là est un dessin réalisé par Arthur Rimbaud âgé de dix ans. Sotheby's mettra en effet bientôt aux enchères six dessins de la main d'Arthur (sur un ensemble de sept), intitulés Plaisirs du jeune âge.



Rappelons que les Poésies complètes du moins scolaire des poètes se trouvent sur les rayons du libraire à prix raisonnable. Par exemple dans l'édition du Livre de poche.


Arthur Rimbaud, Poésies complètes,
288 pages, 3,10 €

mardi 7 février 2017

Chamfort (Sébastien-Roch Nicolas, pas Alain) aujourd'hui

Eric Chevillard, L'autofictif à l'assaut des cartels,
L'Arbre vengeur, 224 pages, 15 €
" Longtemps j'ai voyagé au bout de la nuit. "

" Les tsunamis de mes kamikazes sont mes amis. "

" C'est le seul moyen de fuit la société en faisant bonne impression, aussi je ne la laisse à personne : la vaisselle. "

" Sur quel terrain se battront à armes égales Kasparov et Kalachnikov ? "

" Mon plagiaire a fait mieux que moi comme le prouvent ses ventes encore inférieures aux miennes. "

" La chat a des moustaches en fil de pêche. L'hameçon est au bout de sa patte. Il ne manque pas non plus de patience. Mais sa queue d'anguille reste insaisissable. "

lundi 6 février 2017

Une rencontre remarquable



Pour brosser les portraits de Charlotte Delbo, Germaine Tillon et Milena Jesenkà,  Jacqueline Bourgeade (à droite sur la photographie), Catherine Delisle-Pelletier (à gauche) et Milie Moratille (au centre) s'étaient donné rendez-vous à la librairie A la Page.

Elles furent écoutées par un auditoire aussi attentif que nombreux, qui apprécia leur façon de marier la ferveur et l'érudition.
Quelques preuves photographiques réunies par Daniel De Meerleer et un grand merci à toutes et à tous :


 
 


 

 

dimanche 5 février 2017

Retour en Bourbonnais

Harry Alis, Petite ville,
Pré-Textes, 264 pages,  18 € 
" Il s'agit d'un roman sous forme de lettres.
Le narrateur, écœuré  de l'existence parisienne, revient en Bourbonnais, son pays natal. Il veut changer ses habitudes et observer la vie provinciale. Il s'installe donc dans un hôtel de Larcy (Lurcy-Lévis) et, presque chaque jour, il écrit à son meilleur ami. "
Ainsi les éditions Pré-Textes présentent-elles par la voix de Simone Raynaud,  Petite Ville (1886), roman d'un auteur tombé dans l'oubli : Harry Alis, nom de plume d'Hypolite Percher.
Journaliste et écrivain, Alis/Percher naquit dans l'Allier en 1857 et mourut en 1895 sur l'île de la Grande Jatte, rendue célèbre par le tableau de Seurat... et par le duel au cours duquel le romancier perdit la vie. Comme Evariste Galois, Pouchkine et Robert Caze, romancier naturaliste, comme lui, et aussi oublié que lui.
Harry Alis prit un risque en situant son roman, d'une veine réaliste et fortement autobiographique,
dans une ville où chacun connaît son voisin (souvenez-vous de ce qu'il arriva à Pierre Jourde).
Extrait :
" M. le maire, qui n'était pas fâché de voir la femme, acquiesça. Boutin, au point où en étaient les choses, jugea inutile de mettre opposition. Le gendarme fut posté à la porte et les autorités visitèrent les pièces l'une après l'autre. Au premier, enfin, dans la chambre à coucher, ils trouvèrent mademoiselle Juanita, de l'Alcazar, assise en son costume de parade. Ils s'arrêtèrent interloqués. Boutin, réfléchissant aux conséquences du scandale, paraissait un peu confus. Juanita se mit à bailler, puis, ennuyée de se voir examinée comme une bête curieuse, elle dit :
Quand vous aurez fini de me dévisager ? C'est bien moi en chair et en os. Même que ça commence à m'embêter d'être calfeutrée comme ça. Ils sont pas mal gnoles vos administrés, mon petit père municipal. "
Le roman fit scandale, en effet, et Petite ville est le troisième roman que les éditions Pré-Textes font revivre, après Passage d'Angeline (Albert Fleury) et La Haine maternelle (Simone de Tervagne).
Harry Alis