vendredi 25 août 2017

De quel côté regarde l'ange ?

Thomas Wolfe, Look Homeward Angel.
Une histoire de la vie ensevelie,
traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Pierre Singer,
Bartillat, 588 pages, 22 €
Une bonne nouvelle n'arrivant jamais seule, chic ! voici sur l'étal du libraire un nouveau livre de Thomas Wolfe, vous savez, l'auteur souvent cité dans le dernier roman de Ron Rash, Par le vent pleuré (voir le billet du 22 août dernier).
Il y avait longtemps que l'autobiographie de Wolfe n'était plus disponible en librairie.
La dernière édition, traduite par Jean Michelet, remontait à 1982 (L'Âge d'homme). Look Homeward, Angel. A Story of the Buried Life portait alors le titre français de L'Ange exilé.
Il existait une autre traduction française de ce livre-clé. Mais elle était plus ancienne encore ; Pierre Singer l'avait signée en 1956 chez Stock puis, chez Seghers en 1968,. Elle s'intitulait Que l'ange regarde de ce côté.
Revoici, donc, Thomas Wolfe en librairie. Tout frais, tout pimpant. Sous une nouvelle traduction, probablement, puisque son roman autobiographique porte un nouveau titre. Un titre parfaitement exact au demeurant. Exact... dans la langue de Thomas Wolfe puisque Look Homeward, Angel. A Story of the Buried Life s'intitule désormais en français Look Homeward Angel. Une histoire de la vie ensevelie.
Mais qui est le traducteur de cette nouvelle version  sur l'étal du libraire ? Eh bien, ce n'est autre que Pierre Singer, le traducteur de Que l'ange regarde de ce côté, publié en... 1956.
Autrement dit, rien n'a été traduit de neuf dans cette neuve version. Sauf le titre, évidemment, qui a été révisé de fond en comble et traduit avec succès de l'anglais en anglais. La connaissance des langues fait d'étonnants progrès.
Enfin, tout n'est perdu : cette nouvelle édition reproduit pour sa couverture la maquette de l'édition américaine de 1929. Presque fidèlement : le sous-titre de Wolfe a été traduit en français. Le libraire s'agace de cette trahison.


 

jeudi 24 août 2017

Nathalie Rheims, sa vie sans moi

Nathalie Rheims, Ma vie sans moi, roman,
Léo Scheer, 190 pages, 15,50 €
La vie est un songe, Calderon l'a dit une fois pour toutes. D'autant plus un songe lorsqu'elle se passe pour quelques heures dans la salle d'anesthésie d'un chirurgien -- quand bien même celui-ci se prénommerait joliment Mithridate.
Dans ces conditions, votre défile, votre passé revient, la flèche du temps se retourne et tous vos désirs irréalisés reviennent en foule à votre esprit endormi. Lorsque l'on est femme écrivain, voici à quoi le songe peut ressembler : "Une  fois devenue la coqueluche du Tout-Paris, il me fallut aussi apprendre à devenir stratège. Je savais certes dire "Merci, merci ", avec des trémolos dont seule Marion Cotillard aurait su décliner les tessitures ; mais je devais rester sur mes gardes et ne pas céder trop vite aux propositions mirobolantes des grandes maisons d'édition. Combien de ces filles, ayant à peine publié un malheureux livre sur leur papa ou leur maman, se roulaient par terre car elles n'avaient pas reçu le prix qu'elles attendaient, persuadées que nulle autre qu'elles ne le méritait ?
Elles changeaient d'éditeur ces folles impatientes, cédant aux promesses d'à-valoir extravagantes et aux assurances de récompenses -- puis, l'année suivante, elles disparaissaient, ensevelies sous les flèches  massacrantes de la critique littéraire ou, pire, d'un silence gêné. "
Ma vie sans moi, roman (ce dernier mot a toute son importance, nous allons le voir), est rédigé de bout en bout sur ce mode de l'artiste au bord de la crise de nerf et en plein deuxième ou troisième degré.
 Ego-roman, donc, malgré son titre qui est emprunté au recueil de poèmes d'Armand Robin (1912-1961), l'oublié des oubliés, le traducteur d'on ne sait combien de langues au juste, l'écouteur nocturnes des radios, l'inclassable, retrouvé mort au fond d'un commissariat de police on ne saura jamais dans quelles circonstances. De quoi aurait-été tissé le rêve d'Armand Robin dans la salle d'anesthésie ? La question reste pendante.
Armand Robin, Ma vie sans moi, suivi de
Le Monde d'une voix, Gallimard,
256 pages, 8,90 €


mercredi 23 août 2017

Pour vous guider dans la rentrée

La compilation gratuite offerte par Livres Hebdo à l'occasion de la rentrée
littéraire de septembre est disponible dès aujourd'hui
sur la petite table devant le canapé rouge.
Elle couvre tous les genres : romans, essais, bandes dessinées.
Servez-vous ! Sinon, interrogez les libraires !


mardi 22 août 2017

Ron Rash, Eugene, son frère et la sirène

Ron Rash, Par le vent pleuré, traduit de l'anglais
(Etats-Unis) par Isabelle Reinharez,
Seuil, 200 pages, 19,50 €
Les années 1960, encore, constituent la toile de fond du dernier roman de Ron Rash . Dans les Appalaches, en Caroline du nord, deux jeunes frères, sous la férule du grand-père qui a charge de leur éducation, mènent vie tranquille et droite.
L'apparition d'une jeune étudiante, moderne et séduisante, une " sirène " rencontrée au bord de la rivière, va faire basculer leur destin. Ils sont des provinciaux, un rien patauds, craignant plutôt que respectant l'ordre familial, quand Ligeia introduit la modernité dans leur existence. William se rêve en chirurgien et Eugene qui, à seize ans ne se voit qu'en écrivain. Mais musique, drogue, alcool, sexe libéré, rébellion, les deux frères, surtout Eugene, le cadet, vont se laisser envoûter. Leurs deux existences se sépareront dans le succès professionnel de l'un et la ruine alcoolisée de l'autre. 
Ron Rash fait preuve d'un sens consommé de l'intrigue et, en outre, renouvelle le thème des deux frères ou compagnons (amis et ennemis) qui jalonne la littérature américaine depuis Des souris et des hommes jusqu'aux Frères Sisters de Patrick deWitt. Et la littérature mondiale depuis Abel et Caïn. A quoi s'ajoute ici le mythe de la femme tentatrice.
Le très beau titre français retenu par la traductrice est une citation du grand romancier Thomas Wolfe (1900-1938) extraite de Que l'ange regarde de ce côté (1929). Il exprime à la perfection l'atmosphère de ce roman et la déréliction d'Eugene, hanté par un passé dont il ne connaît plus les contours. Il admira Wolfe, la sirène et les Doors pourrait être son épitaphe.
 


 

lundi 21 août 2017

Nostalgie punk

Patrick Eudeline, Les Panthères grises,
La Martinière, 174 pages, 17,50 €
Le punk d'expression littéraire, soutenu sur les étals des librairies par Virginie Despentes (de l'Académie Goncourt), trouve un autre porte-parole en Patrick Eudeline, " dandy punk " et " rock critic " qui publie Les Panthères grises.
" Comme toujours un orage lancinant, prêt à éclater, semblait rôder, malfaisant au-dessus des toits. Un microclimat de Fin du Monde, où le franc été succède ou alterne avec un automne sale ou un printemps de chien mouillé, sans que personne s'en aperçoive  et comprenne. "
Convaincus que le monde, en effet, comme la musique, comme la ville, comme l'art et même comme la publicité touche à sa fin, une bande de vieux copains sur le retour médite un mauvais coup.
Le thème de la Fin (fin du monde, fin de la nature, fin de l'homme, fin de tout) est, avec le fait divers, à la base de nombreux romans du jour. Il est ici nourri par la nostalgie des années 1960, de leur ambiance musicale, des objets qui l'ornaient, des images qu'elles véhiculaient.
Après, il n'y aurait plus de futur.
" Putain, tu as envie de te shooter encore un peu plus le passé dans la gueule, s'exclame un personnage. Tu as envie d'entendre toutes ces chansons de dingue alors que ça n'existe plus ? (...) Tu as envie de voir les rues de Paris avec des voitures de rêve, des Cadillac, des Chambord, des Versailles, et -- allons-y ! -- des deudeuches pied-de-poule ou des Ami 6 ? Elles étaient toutes belles de toutes les façons ! (...) Le passé. Le célébrer, le revivre, le comprendre. Découvrir toutes ces choses qu'on n'a pas eu le  temps de voir ou de vivre parce que c'était trop en même temps. C'est allé tellement vite. Dix ans à peine, entre 63 et 73, pour l'absolu âge d'or. "
Le croulant punk remâchant son passé ?
Dans un fort volume intitulé, normalement, No Future, Caroline de Kergariou, retrace l'histoire du  punk, depuis la création de ce mot jusqu'aux plus récentes mutations du mouvement.
Caroline de Kergariou, No Future. Une histoire
du punk, Perrin, 654 pages, 27 €

dimanche 20 août 2017

Orwell-Atwood

Margaret Atwood, C'est le cœur qui lâche en
dernier, traduit de l'anglais (Canada) par
Michèle Albaret-Maatsch, Robert Laffont,
447 pages, 22 €
  
Après le succès en librairie de La Servante écarlate, Robert Laffont publie le dernier roman de Margaret Atwood, C'est le cœur qui lâche en dernier
George Orwell est, une fois encore, passé par là. Dans cette dystopie (mot qui fait fureur), se bousculent les expériences numériques, les cellules bourrées de mouchards automatiques, les puces sous-cutanées sur les poulets en attendant mieux, les opérations esthétiques mal nommées, les phéromones artificiels, les " impressions 3 D de connexions neuronales ".
Ce bel attirail est expérimenté par la société Positron, au sein d'un projet de prison post-moderne que des sujets consentants acceptent de rejoindre de leur plein gré. Il est vrai que leur précarité économique et sociale ne laissait guère le choix...
Consilience est le nom de la ville dans laquelle Stan et Charmaine évoluent la moitié du temps, pendant qu'un autre couple occupe leur propre habitation. Le désir et la domination, l'amour et la libre disposition de soi obsèdent les personnages et déchirent leurs relations ou ce qu'il en reste.
Le ton de ce roman est d'une causticité assurée ; la narration d'une grande cruauté. La fable, moins clairement politique que chez Orwell, se développe sur un fond de pessimisme bien contemporain que l'humour rageur de Margaret Atwood ne suffit à tempérer.


Margaret Atwood, La Servante écarkate,
traduit de l'anglais (Canada) par Sylviane Rué,
Robert Laffont, 524 pages, 11,50 €