samedi 20 janvier 2018

De l'importance des cartes postales

Frédéric Vitoux, L'Express de Bénarès,
A la recherche d'Henry J.-M. Levet,
Fayard, 280 pages, 19 €
Le poète Henry J.-M. Levet (1874-1906) n'a eu le loisir de laisser qu'une œuvre très mince. Un ensemble de dix poèmes intitulé Cartes postales, parues dans les deux premières années du XXe siècle. Il eut pour amis Léon-Paul Fargue, le peintre Francis Jourdain et... Valery Larbaud.
Ce qui ne suffit peut-être pas à expliquer la fascination qu'éprouve Frédéric Vitoux pour ce quasi inconnu, voyageur, diplomate et bohème. Mais qui fait tendre l'oreille au libraire de Vichy.
Frédéric Vitoux a suivi Levet (ou Levey, selon son nom de plume) tout au long de sa brève existence de trente-ans. A Montbrison (Loire), sa ville natale,
à Paris et jusqu'au moment où l'on perd de vue à jamais le poète : dans le port de Marseille où il s'embarque en 1902 pour Manille.
Comment ce météore a-t-il obsédé (c'est son mot) Frédéric Vitoux ? Tel est l'objet de ce livre très chaleureux, plein d'hypothèses autant que de certitudes, ce qui le nimbe d'une atmosphère poétique savoureuse. Un détour (et un retour) par la ville de Vichy s'imposait à l'auteur d'une telle enquête, récipiendaire du prix Valery Larbaud en 1990. Le temps de se conforter dans l'idée que les dix Cartes postales de Levet avait laissé une impression profonde sur Larbaud et que s'y entendait une musique proche de celle des poésies de Barnabooth.

Henry J.-M. Levet

jeudi 18 janvier 2018

L'imagination naturelle

Philippe Annocque, Notes sur les noms
de la nature, illustrations de François
Lelievre, Editions des Grands champs,
40 pages, 12 €
Les couscous sont originaires d'Australie et de Nouvelle Guinée. Ils vivent dans des arbres à feuillage épais et sont nocturnes. Omnivores, les couscous se nourrissent de feuilles, de fruits, ainsi que de petits oiseaux.
Vérifiez cette assertion, gens de peu de foi, si vous ne croyez pas le libraire.
Puis, précipitez-vous sur les Notes sur les mots de la nature qui viennent de paraître aux Editions des Grands champs. Leur auteur se nomme Philippe Annocque. Cet homme a beaucoup à nous apprendre sur la nature. Sur la poésie naturelle. Sur l'imagination de la nature. Rien qu'à écouter ses noms et à les voir :
" Le nom donne à voir/ce qui nous échappait./ Depuis que je sais le nom /de l'accenteur mouchet/il y en a plein mon jardin. " John Burroughs, un naturaliste américain du XIXe siècle, serait d'accord avec cette constatation. " Si vous n'avez pas un oiseau dans le cœur, vous ne pouvez le voir dans le buisson ", disait, en effet, Jean des Oiseaux.
Philippe Annocque ne fréquente pas seulement les couscous. Il en connaît un rayon sur le maki catta, le bulbul, le grolar, les crépidules. Vérifiez, vérifiez, si ne m'en croyez ! Ses notes, de plus, sont ornées de dessins  de Florence Lelievre qui a tout fait pour suivre la nature en ses poèmes et s'en est plus que bien sortie.
" Sans imaginaire, il n'y aura plus de ville ", affirmait Marc Augé.  Vive l'imaginaire de la nature ! Car, sinon, il n'y aura plus de nature.
Le même éditeur publie simultanément Métaux adjacents, de Jean-Pierre Le Goff (1942-2012), " fruits d'une cueillette que je pratique généralement à la périphérie des villes ", dit l'auteur lui-même, grand collectionneur d'objets trouvés.
Le libraire n'a pas assez chiné encore dans son livre pour en parler plus avant. Il fait seulement savoir que son préjugé est largement favorable.

Jean-Pierre Le Goff, Métaux adjacents,
Editions des Grands champs, 126 pages, 18 €

mercredi 17 janvier 2018

Les peintres et nous

Anne et Claire Berest, Gabriële,
Stock, 446 pages, 21,50 €
Les biofictions consacrées aux peintres célèbres ont le vent en poupe.
Francis Picabia (dont Gallimard vient de publier la correspondance avec André Breton), en est l'objet dans Gabriële, sous les plumes conjuguées d'Anne et Claire Berest. C'est à travers la rencontre avec Gabriëlle Buffet que se trouve ici évoquée le milieu artistique du premier XXe siècle. La fresque est riche de noms et de comportements bohèmes.  Une petite révélation familiale la rehausse : Anne et Claire Berest se sont découvertes arrières-petites filles de la muse de Francis Picabia.
Le mot " roman " figure sur la couverture du livre de Catherine Cusset.
Fascinée par la " liberté et la " passion " de David Hockney, Catherine Cusset a pu s'appuyer sur les livres et les entretiens donnés par le peintre, ainsi que de nombreux commentaires sur son œuvre. " Ce livre est un roman. Tous les faits sont vrais ", déclare l'auteur en introduction. Il s'agit d'un travail sur modèle vivant, écrit à la troisième personne. Nommé David tout du long, comme Gabriële était nommée par son prénom dans le livre des deux sœurs Berest,  Hockney devient une étoile familière de la peinture.
Pendant ce temps, Deux remords de Claude Monet, de Michel Bernard, paraît dans La Petite vermillon, une belle collection de poche.
Catherine Cusset, Vie de David Hockney,
Gallimard, 188 pages, 18,50 €

mardi 16 janvier 2018

Un pavé. Mais concis

Eric Chevillard, L'autofictif ultraconfidentiel,
L'Arbre vengeur, 1216 pages, 29 €
Félix Fénéon accepta en 1906 de rédiger pour
Le Matin la chronique des « Nouvelles en trois lignes ». Il s’agissait d’une rubrique d’informations brèves, composées de trois lignes, comptant de cent dix à cent cinquante signes typographiques (...). Fénéon en fit une esthétique de la concision. Parmi les techniques d’écriture qu’il utilise dans ses savoureuses nouvelles, on peut citer (...) : « Elle tomba. Il plongea. Disparus. », « Madame Fournier, M. Voisin, M. Septeuil se sont pendus : neurasthénie, cancer, chômage. » (Daniel Salles, «  Journalistes et écrivains au XIXe siècle », Texte hébergé par le site de la BNF)
Eric Chevillard compte parmi les descendants de Félix Fénéon. On le savait, mais la chose se précise avec la publication de ce pavé : L'autofictif ultraconfidentiel. Sa technique a lui semble simple : trois courts textes par jour, tous les jours, pendant dix ans. Ce qui donne (en très, très résumé) :
" Ce fait divers atroce dont la violence et la sauvagerie dépassent l'imagination s'inspire pour tant d'un roman bien réel " (16 février 2011).
" Le photographe me regarde mourir." (28 mai 2012)
" Suzie en est encore à chercher l'équilibre. Son vélo a quatre roues. Son monocycle en a deux. " (23 mai 2014).
Pavé est le mot. L'autofictif ultraconfidentiel compte 1209 pages de texte exactement. 1216 avec la bibliographie de l'auteur.
Le libraire vous souhaite une bonne journée.

Félix Fénéon (1861-1944), par Paul Signac