samedi 5 novembre 2016

Yonnet et Calet : deux Parisiens considérables

Jacques Yonnet, Troquets de Paris,
L'Echappée, 367 pages, 22 €
Jacques Yonnet (1915-1974) fut, et demeure, l'une des incarnations de l'esprit parisien. Une cohorte de fidèles lecteurs (célèbres et anonymes) s'est reconnue dans sa Rue des Maléfices (Phébus), " hénaurme " chronique du centre de Paris pendant l'Occupation. "Il n'est pas de Paris, il ne sait pas sa ville, celui qui n'a pas fait l'expérience de ses fantômes ", déclarait Yonnet dans son livre publié en 1954.
La vie de comptoir, souvent clandestine et nocturne, tenait déjà dans cette " chronique secrète d'une ville " une place éminente. Les phénomènes les plus étranges ; les légendes les plus fantastiques ; les complots les plus fous s'y développaient.
La parfaite assiduité de Yonnet lui assura une grande science es-bistrots que le journal L'Auvergnat de Paris lui demanda, au tout début des années 1960, de convertir en articles taverniers.
D'où ce fort avenant volume, Troquets de Paris, au plaisant bouquet, dans lequel sont aujourd'hui serrés souvenirs, rencontres insolites, variations et autres racontars de troquets. Ainsi que de précieux et authentiques points d'histoire. Défilent, entre VillonAndré Hardellet et Claude Seignolle (insigne connaisseur du Paris fantastique), les sites et les personnages de la seconde ville ; de l'envers du décor ; de l'infraville, selon sa propre expression.
Le livre reproduit judicieusement des dessins de rues, de cafés ou de figures amies signés Jacques Yonnet
Henri Calet (1904-1956) fut, lui aussi, un Parisien accompli, comme l'attestent Les Grandes largeurs ou le Tout sur le Tout, deux livres-clés de ce citoyen du XIVe arrondissement. Les Deux bouts (pensez à l'expression : " joindre les deux bouts ") consiste en une série de reportages commandés en 1953 à l'auteur par Le Parisien libéré. Calet y donnerait la parole à des gens modestes. Un chauffeur de taxi, une esthéticienne, des commerçants, une jeune étudiante dont nous suivons l'emploi du temps, visitons parfois l'intérieur ou suivons le déplacement, comme ce contrôleur d'autobus.
Avec tact, précision et un soupçon d'ironie (moins présente toutefois qu'ailleurs chez Calet car, ici, il s'agit de respecter l'interlocuteur), se déroule une sorte de frise largement aussi parlante, et plus vivante, qu'une enquête de sociologie sur le Paris de ces années.
Certains portraits sont très touchants. Comme celui de M. Ahmed Brahimi, qui construit les maisons des autres, les maisons qu'il n'habitera jamais : son souci à lui est de trouver un hôtel dont on il ne sera pas fichu à la porte sans motif. A moins, bien sûr, qu'il ne paie la " reprise " exorbitante que lui réclament soudain de verser les marchands de sommeil.
Henri Calet, Les Deux bouts,
Héros-limite, 224 pages, 18 €

vendredi 4 novembre 2016

Gaëlle Josse en lauréate

Gaëlle Josse, L'ombre de nos nuits,
Notabilia/Noir et Blanc, 198 pages, 15 €
Gaëlle Josse, prix des lecteurs A la Page 2016 pour son roman L'ombre de nos nuits (Notabilia/Noir et Blanc) sera présente au 5, rue Sornin Vendredi 18 novembre à 18 heures, pour rencontrer le public vichyssois.
Le libraire distillera plusieurs gouttes de cet élixir d'ici le 18 novembre. Petit extrait du jour :

" J'ai en tête ce que je veux pour cette composition, j'espère être capable de donner vie à cette scène que je porte en moi. Il me suffit de fermer les yeux pour la voir apparaître.
Je dois ajouter quelque chose : depuis quelques jours, une idée m'est venue pour cette toile, j'ose à peine me l'avouer. Je l'ai longtemps tournée dans ma tête, tant elle m'effraie, mais ma décision est prise maintenant. C'est au roi de France que la destine, mais je n'en dirai rien à personne pour le moment. Si je la juge digne de lui être présentée, et je serai le seul à en décider, je solliciterai l'honneur de venir à Paris la lui montrer. S'il décidait de l'acquérir, ma fortune et ma gloire seraient faites. "

L'ombre de nos nuits, outre le prestigieux prix des lecteurs, s'est également valu le prix France Bleu-Page des libraires.

jeudi 3 novembre 2016

Beauté de l'évolution et évolution de la beauté


Darwin, L'Origine des espèces,
Traduction d'Edmond Barbier,
GF, 621 pages, 12 €
Le libraire a lu les lignes suivantes dans le journal 
Le Monde du 26 octobre dernier :
" Partout, les écosystèmes sont menacés, et rien ne semble pouvoir enrayer  la tendance. Alors que les pressions humaines sur l'environnement ne cessent de s’aggraver, plus de la moitié du vivant, parmi les vertébrés, a disparu ces quarante dernières années. C’est sur ce nouveau constat alarmant que s’ouvre la onzième édition du rapport Planète vivante, un vaste bilan de santé de la Terre et de sa biodiversité ", publié par le Fonds mondial pour la nature. "
Les causes de ces reculs sont connues : ils sont imputables, en premier lieu, à la perte et à la dégradation de l'habitat, sous l’effet de l'agriculture, de l’exploitation forestière, de l’urbanisation ou de l’extraction minière. Viennent ensuite la surexploitation des espèces (chasse, pêche, braconnage), la pollution, les espèces invasives et les maladies et enfin, de manière plus marginale pour l’instant, le changement climatique. "
 Le moment est donc amplement venu de faire quelque chose et... d'admirer les époustouflantes photographies animalières de Robert Clark pour Evolution, la théorie en images.
Ce sont oiseaux, reptiles, habitants des mers, insectes et mammifères photographiés par un collaborateur de National Geographic. La précision des clichés qui met en valeur chaque plume, bout d'écaille, carapace, épine, antenne ou ale de papillon est confondante.
Le livre comporte une introduction qui pose les grandes idées de la théorie darwinienne et chaque photographie est l'occasion d'un approfondissement par l'exemple.
Le libraire en est resté bouche bée. Comme l'enfançon qui voit sa première libellule. Le sentiment de la beauté contribuerait-il à protéger la nature ?


Evolution. La théorie en images, Photographies de
Robert Clark. Avant-ptopos de David Quammen.
Texte de Joseph Wallace. Traduit de l'anglais
par Christine Mignot, Phaidon, 240 pages, 34,95 €
 

mercredi 2 novembre 2016

Hey, Mr Bob Dylan !

Erri De Luca, Le Plus et le moins,
traduit de l'italien par Danièle Valin,
Gallimard, 200 pages, 14,50 €
Erri De Luca, lui, n'aura pas été déçu par les jurés du prix Nobel de littérature.
Dans un des petites chapitres qui forment Le Plus et le moins, paru en italien en 2015 et en français en avril 2016, il écrivait à propos  de Dylan :
 " Chanteur ? Ce titre professionnel peut lui suffire, mais ses titres sont sur l'étagère des poètes, par ordre alphabétique entre l'anglais John Donne et le russe Sergueï Essenine. "
Le poète Zéno Bianu n'a pas été déçu non plus, suppose-t-on.
Il avait publié en 2014 un recueil de poèmes consacrant Bob Dylan "  poète le plus écouté de la planète " à partir de l'album Blonde on Blonde.
Extraits de Visions de Bob Dylan (titre qui salue au passage les Visions de Cody et leur auteur, Jack Kerouac), par Zéno Bianu :
 
Et soudain
une seule chanson
devient le cosmos tout entier
elle s'étire en toi
se love à fleur de nerfs
rayonne dans le jamais atteint
dérape dans l'infime
s'érige
en serrement de cœur
tressaille
jusqu'à durer
une nuit d'année-lumière

Zéno Bianu, Visions de Bob Dylan,
Le Castor Astral, 111 pages, 12 €