samedi 4 mars 2017

Une soirée suisse

Joël Dicker, Le Livre des Baltimore, De Fallois poche,
595 pages, 9 €
 
Tandis que paraît en format de poche Le Livre des Baltimore, le succès de Joël Dicker, écrivain suisse romand, l'écrivain suisse d'origine turque Metin Arditi publie un Dictionnaire amoureux de la Suisse. La notice concernant Dicker se trouve en pages 157 et 158 de l'ouvrage qui nous met sur la piste de beaucoup d'autres auteurs helvétiques à découvrir ou à retrouver d'urgence. Les immanquables Charles-Ferdinand Ramuz (1848-1947), Gustave Roud (1897-1976), déjà salués par le libraire et Nicolas Bouvier (1929-1998) ou Philippe Jaccottet (né en 1925) . Mais aussi le couple que formait Corinnna Bille (1912-1979), conteuse hors pair, et Maurice Chappaz (1916-2009), deux auteurs moins célébrés. Et que dire de Georges Haldas, dont il est possible de dévorer de multiples volumes de son journal dont les journaux, d'ailleurs, parlent si chichement ?
Et de Rodolphe Töpffer (1799-1846), qui inventa la bande dessinée ?
Le billet du librairie ressemble aujourd'hui à un simple lâcher de noms, c'est vrai.
Mais iriez-vous voir du côté d'un ou deux d'entre eux que ce dictionnaire aurait déjà prouvé amplement son utilité. Le libraire peut s'en aller dormir tranquille (ou presque).

Metin Arditi, Dictionnaire amoureux
de la Suisse, Plon, 615 pages, 24 €

vendredi 3 mars 2017

Clafoutis dans l'Allier et château dans les Bois noirs

Véronique de Bure, Un clafoutis aux tomates
cerises, Flammarion, 380 pages, 19,90 €
Ce sont les quatre saisons de Jeanne. Elle va sur ses quatre-vingt-dix ans, Jeanne. Et elle confie ses pensées à son journal intime. Elle lui dit ces mots, par exemple : " Apparemment, c'est devenu à la mode de se faire brûler. Eh bien tant pis, je ne serai pas à la mode. D'abord, je veux une belle messe. Ensuite, je veux qu'on me mette en terre, pas sur un bûcher. Qu'on m'allonge doucement dans une boîte en bois et qu'on m'y laisse reposer le temps qu'il faudra, auprès de René. Je ne veux pas qu'on me réduise en cendres pour me fourrer dans une urne qui ne ressemble à rien. Ça me fait penser à la fille de Gilberte, celle qui vit en Amérique. Là-bas, je crois que c'est courant de se faire incinérer. En tout cas, elle a fait incinérer son mari et depuis elle se promène partout avec ses cendres. "
Précisons que Jeanne vit dans l'Allier et que sans cette particularité géographique, son personnage, imaginé par Véronique de Bure n'aurait peut-être pas attiré l'attention du libraire sur son cas. Jeanne a habité Vichy ; elle allait admirer le feu d'artifice du 14 juillet au bord du lac d'Allier ; elle aime les donjonnais, gâteaux avec de la meringue, de la crème au praliné et de la pâte d'amande dont la réputation n'est peut-être pas sortie du département. Elle passe l'hiver, l'hiver de sa vie, à Lapalisse, petite ville dont un mot a suffi à assurer sa célébrité dans le monde entier : le mot lapalissade, nous assure le Trésor de la langue française, " dérivé du nom de Jacques de Chabannes, seigneur de La Palice ou La Palisse (1470-1525) sur lequel on fit une chanson populaire remplie de vérités trop évidentes, dites vérités de La Palisse." Jeanne est sympathique et le roman de Véronique de Bure s'intitule Un clafoutis aux tomates cerises.
Par ailleurs, les éditions Libretto ont la bonne idée de reprendre au format de poche le roman du corrézien Robert Margerit (1910-1988) Le Château des Bois noirs. Julien Gracq fut l'un des premiers admirateurs du prix Renaudot 1951 que fut Margerit pour Le Dieu nu.
" Les nuages courant au ras du sol dépassaient la voiture haletante et la balayaient de leurs franges. Des squelettes d'arbres, des buissons apparaissaient confusément puis se perdaient entre ces grandes charpies fuligineuses. Tout n'était plus que poudre d'eau, fumée livide crevée ici par un hérisson de ronces, là par un tronc luisant dont les ramures disparaissaient dans le déferlement des vapeurs. "
On comprend à quoi tenait l'admiration  de Gracq.
Robert Margerit, Le Château des Bois Noirs,
Libretto, 260 pages, 9,70 €

 

jeudi 2 mars 2017

Utopies, contre-utopies

Alberto Manguel, Voyage en Utopies, traduit de
l'anglais par Christine Le Bœuf, Editions Invenit,
104 pages, 28 €
Les utopies ont mauvaise presse ; les utopies n'ont simplement pas de presse du tout. Tous ces principes espérance, pour reprendre l'idée d'Ernst Bloch, s'effondrent dans une désespérance largement répandue.
C'est pourquoi une invitation au Voyage en Utopies, comme celle que propose Alberto Manguel ne saurait être prise de haut ou à la légère. Les grands rêveurs d'absolu sont là. Thomas More et son empire situé nulle part ; Cyrano de Bergerac et ses Etats de la Lune ; Swift, énorme, et ses exploits de Gulliver ; Charles Fourier, le passionné considérable et son nouveau monde amoureux ; Robert Owen, Etienne Cabet, André Godin, les réformateurs sociaux et leurs phalanstères...
Le libraire n'a que deux regrets à exprimer : la brièveté des notices consacrées à chacun. La pauvreté, pour ne pas dire l'absence, de grands rêves au XXe et au XXIe siècles...
Hasard ou ironie de l'histoire, les éditions Actes Sud proposent une nouvelle traduction du classique d'Eugène Zamiatine (1884-1937) naguère connu sous le titre de Nous autres (L'Imaginaire).
Féroce satire de l'Etat totalitaire, ce roman de science fiction fut publié en 1920 et interdit à la vente en URSS. Il s'agit d'une contre-utopie, c'est-à-dire une de ces créations causées, et rendues nécessaires, par le déception ou la trahison d'un grand rêve. D'une utopie. Le pamphlet de Zamiatine est de la famille du Meilleur des mondes de H.G. Wells ou de 1984 de George Orwell.
Evgueni Zamiatine, Nous, traduit du russe
par Hélène Henry, Actes Sud, 234 pages,
21 €

mercredi 1 mars 2017

Le Centre du ventre de paris

J'aime le Centre Pompidou, Centre Pompidou,
9,90 €
Sorti de terre dans les 1970, dans une vision présidentielle de Paris fortement contestée, agrémentée, si l'on peut dire, de divers projets modernistes qui faillirent détruire nombre de symboles parisiens, le Centre Pompidou fête cette année son anniversaire.
Son  histoire est relatée dans un petit guide publié par le Centre lui-même (on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même) au titre sans nuance.
L'architecture de Renzo Piano (à qui est actuellement confié le nouveau Palais de justice) est présentée sous son jour favorable. Comme le sont les collections abritées par cette grande maison multi-fonctionnelle. Kandinsky, Brancusi, Picabia, Vasarely (hélas), Chagall (tant mieux), Martial Raysse et de nombreux autres y ont représentés.
Chefs-d'œuvre du Centre Pompidou, Centre Pompidou,
208 pages, 14,90 €

mardi 28 février 2017

Souvenirs du cirque

Alexandre Romanès, Les Corbeaux sont
les Gitans du ciel, L'Archpel, 280 pages, 19 €
" J'ai eu beaucoup de discussions avec Jean Genet à propos du cirque, écrit Alexandre Romanes. Un jour, il m'a demandé : " Est-ce que tu as aimé faire un numéro avec des lions ? " Il m'a posé cette question parce qu'il y avait de plus en plus de gens qui trouvaient insupportable de maintenir des animaux sauvages en captivité.
J'ai répondu que j'avais aimé cela, mais que c'était quand même triste de voir ces animaux magnifiques dans une cage. Jean était silencieux. Il réfléchissait. Et il m'a raconté une histoire qui s'était passée dans la Grèce antique.
Les pierres qui servaient à la construction du Parthénon d'Athènes venaient de loin. Elles étaient transportées par des ânes qui partaient dans tous les sens. Comme les pierres n'arrivaient pas, les Athéniens s'étaient réunis pour trouver une solution. Et ils avaient décidé, pour être efficaces et pour que les ânes marchent droit devant eux, de leur crever les yeux. "
C'est une des mille histoires (est-elle historiquement exacte ?) que raconte Alexandre Romanes dans son livre de mémoires. Romanes est issu de la famille Bouglione, une des plus illustres familles du cirque, qui dirige le cirque d'Hiver, à Paris, depuis les années 1930. En 1994, il publia aux éditions Le Temps qu'il fait Le Premier cirque tsigane d'Europe et, en 1998, chez le même éditeur, Un peuple de promeneurs, que suivit un recueil de poèmes publié par Gallimard.
Dans ses souvenirs liés au monde du cirque tsigane et au nombreuses rencontres qu'il fit au cours de sa vie,  Romanès ( qui est un nom de guerre) n'envoie pas dire ce qu'il a à dire. Ceci, par exemple : " Je me souviens d'une comédienne qui avait eu l'honnêteté de dire [au sujet d'un journaliste d'une grande chaîne de télévision] : " Je ne sais pas pourquoi je suis là car je n'ai rien à dire. " La malheureuse, elle ne sait pas que c'est précisément parce qu'elle n'a rien à dire qu'elle est invitée. "



lundi 27 février 2017

Deux mots sur la Turquie

Ahmet Insel, La Nouvelle Turquie d'Erdogan,
La Découverte, 137 pages, 10 €
 
Pour prendre des nouvelles de la Turquie, on peut se reporter à l'essai d'Ahmet Insel. Bien sûr, bien sûr...
On peut également s'en référer à un poète. Est-ce moins sûr ? Ce sont nos amis de Bleu Autour
qui publient ce recueil d'Ôzdemir Asaf (1923-1981) sous un titre magnifique, Après moi le bonheur.
Le livre s'ouvre sur la présentation nécessaire de cet homme de lettres francophone, traducteur de nombreux écrivains français. dont les poèmes sont restés inédits dans notre langue. C'est la propre fille du poète qui conclut le recueil par ces notes intimes :
« Mes parents maîtrisaient  l'un et l'autre le français. Ils le parlaient entre eux quand ils ne voulaient pas que je le comprenne. J'étais une enfant curieuse.
Un jour, j'avais transcrit sur une feuille des bribes  de leur conversation que j'avais retenues. Quelques jours après, j'ai relu la phrase que j'avais notée. 

Elle était très étonnée.  Elle m'a demandé où j'avais entendu ça. Comme j'écoutais tout le temps la radio, j'ai répondu : " À la radio, dans une chanson ! " Ma mère se mit à rire. En l'occurrence, mon père avait dit à ma mère : " Je ne pourrai  pas régler le loyer avant le début de la semaine prochaine." »
Comme quoi les poètes turcs ne sont pas plus argentés que leurs homologues dans le monde.
Ce qui ne les empêche d'écrire des choses comme celles-ci :

LA BALLADE DE L'AMOUR

Tu me rappelles à moi, à moi-même,
Dans ce que tu dis, dans ce que tu entends,
Dans ce que j'écris, toi à moi, toi à moi-même,
Même si je ne le dis pas, dans ce que je ne cache pas.
Ah ! J'ai toujours, toujours ça dans ma mémoire ;
Tu te rappelles à toi, à toi-même,
Dans tes yeux, tes oreilles, tes lèvres.

Signé Ôzdemir Asaf .


Ôzdemir Asaf , Après moi le bonheur, traduction du turc
de Gaye Petek avec Pierre Vincent,
dessins Ismail Yildirim, préface Ayşe Sarisayin,
Epilogue Seda Arun, Bleu autour, 232 pages, 15 €

dimanche 26 février 2017

La forme de Lyon

                                                                        Il ne s'agit pas de la forme de l'Olympique lyonnais !
Gilbert Vaudey, Le Nom de Lyon,
Bourgois, 374 pages, 17 €
Mais c'est après avoir passé un après-midi dans les rues de Lyon (et dans quelques librairies, surtout le Bal des Ardents) que le libraire de retour a pensé à signaler un livre paru  en 2013 : Le Nom de Lyon, de Gilbert Vaudey.
Voilà un excellent guide. Non pas destiné à favoriser les achats du visiteur dans les rues commerçantes ni même dans les meilleurs bouchons, mais pour donner à sentir les ambiances des différents quartiers ; leur architecture ; leur histoire ; leurs métamorphoses plus ou moins récentes. La précision du regard et de la phrase de Gilbert Vaudey, Lyonnais de naissance, d'adolescence et d'âge mûr, fait merveille. Elle s'applique à des itinéraires personnels à travers la ville et ses différentes parties, qu'elle soit parcourue par flânerie ou par obligation de se déplacer.
L'ouverture en est révélatrice de l'ensemble des parcours effectués et des émotions ressenties : " La ville, c'est bien ainsi, avais-je imaginé, qu'elle devait être saisie ou qu'elle viendrait à s'offrir : par une grâce ou une effraction peut-être, dans la formule de son tissu ; non de l'extérieur, d'une hauteur qui au regard livrerait en bloc l'étendue et le site, mais du cœur même, d'un centre que seul un rêve jusqu'ici avait pressenti. Et c'est bien ainsi qu'une nuit, pour celui qui marchait, pour des yeux grands ouverts, la ville, sans rien trahir de ses instances, s'était livrée. "
Le ton incontestablement gracquien de l'essai (entre histoire personnelle et collective) incite le libraire à conseiller la lecture ou la relecture de La Forme d'une ville, où l'on pourra laisser errer  son imagination à travers une grande ville, autre que Paris, qui s'appelle Nantes.


Julien Gracq, La Forme d'une ville,
José Corti, 216 pages, 19 €