vendredi 3 novembre 2017

Modiano, Cendrars. Le Rêve encore.


" Le Rêve à une histoire, une histoire de rêve: Simenon y rédigea son premier roman Le pont des arches, Céline, CendrarsMarcel Aymé y avaient leurs habitudes et Patrick Modiano aimait donner « rendez-vous au Rêve  »  ".
 On raconte pour la légende que c’est ici que Jacques Brel, attablé dans un coin près de la vitre, guettait le passage de Suzanne Gabriello dont il était séparé, et composa un brin nostalgique Ne me quitte pas. "
 
De Blaise Cendrars, au bar " Le Rêve " il n'est point question dans l'enquête d'Olivier Renault sur le Paris de l'auteur de Moravagine qui, pourtant, hanta Montmartre.
Il est vrai que ce bourluingueur s'entendit toujours à brouiller les pistes. A se dédoubler. A forger sa légende. Le Paris de Cendrars, qui vient de faire son apparition sur l'étal du libraire, relate son  odyssée à travers les rues de la ville. De la place de l'Alma à la place Clichy, de Montparnasse à la rue Jean Dolent (écrivain tombé dans les oubliettes)... c'est-à-dire à un jet de pierre de la prison de la Santé. Des salons aux bas-fonds. Une visite qui vaut le détour au fil de la collection " Le Paris des écrivains ".

Olivier Renault, Le Paris de Cendrars,
Editions Alexandrines, 125 pages, 9,90 €

jeudi 2 novembre 2017

Hors des chemins battus : la création primesautière


Bruno Montpied, Le Gazouillis des éléphants, Editions du Sandre,
930 pages, 39 €
Le Gazouillis des éléphants ? Elephantesque, en effet, cet inventaire " des environnements spontanés et chimériques " crées dans leurs jardins et, parfois, dans leur maison, par 300 autodidactes de l'art. Bruno Montpied, dont le libraire avait dit le bien qu'il pensait de ses Jardins anarchiques parus en 2011, a réuni ici 39 ans de recherches auprès d'artistes en marge même de la marge. On connaît les noms, sinon les œuvres, de Nicki de Saint-Phalle ou de Jean Tinguely (voir leurs machines à droite du Centre Beaubourg). Ils sont aujourd'hui fêtés. Mais les 
" naïfs ", les " singuliers de l'art", les "loufoques " découverts par Bruno Montpied ont opéré ou opèrent de nos jours dans un anonymat à la fois désuet et salutaire : quelle sincérité, quelle indépendance, quelle alacrité, souvent, animent leurs créations ! Elles sont très fragiles, cependant. Tenez, le site que Monsieur René Jenthon, dans les années 1980 anima de sirènes, de vaches, de volatiles et de dinosaures "colorés et enfantins " a aujourd'hui disparu de la surface de l'Allier où il se trouvait et, conséquemment, de la surface de la Terre.
La " tentative d'inventaire général des environnements spontanés et chimériques créés en France par des autodidactes populaires, bruts, naïfs, excentriques, loufoques, brindezingues, ou tout simplement inventifs, passés, présents et en devenir, en plein air ou sous terre (quelquefois en intérieur), pour le plaisir de leurs auteurs et de quelques amateurs de passage " orchestrée par Bruno Montpied et les éditions du Sandre est la bonne surprise en matière d'art (nous nous comprenons) de cette fin d'année.

Le site de Monsieur Jenthon




mercredi 1 novembre 2017

Que d'eau, que de belles truites !

Norman Maclean, Et au milieu coule une rivière,
traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Marie-Claire
Pasquier, Payot-Rivages, 174 pages, 19 €
Payot-Rivages republie le petit classique de Norman Maclean que le cinéma et l'acteur Robert Redford popularisèrent largement dans les années 1980 : Et au milieu coule une rivière.
De l'eau est effectivement passée sous les ponts et sur le dos des truites depuis lors : on ne conte plus les récits venus d'outre-Atlantique situant héros et décors dans la nature champêtre ou dans les solitudes (la fameuse Wilderness en français corrigé). Les éditions Gallmeister y consacrent même leur fonds ; leur catalogue foisonne de truites. Jusqu'à cette Journée pourrie au paradis des truites, recueil de textes halieutiques de John Gierach qui paraît à l'instant.
Norman Maclean pourrait faire ainsi faire figure d'ancêtre de ce genre, si le libraire ne se souvenait du Manuel du parfait pêcheur à la ligne qu' Izaac Walton publia il y a quatre siècles et, beaucoup plus près de nous, de ce récit de pêche des deux frères Ludovic et Sylvain Massé.
Eux furent sans doute les premiers à imaginer ce qu'est la vie d'une truite vue par ce merveilleux poisson lui-même et non depuis la berge du torrent, comme dans la plupart des récits.
Lam la truite fut d'abord publié en 1938 chez Larousse, éditeur scientifique, avant de trouver sa vraie place d'aujourd'hui chez un éditeur littéraire, dont le libraire reparlera.

Sylvain et Ludovic Massé, Lam la truite,
Pierre Mainard, 160 pages, 16 €

mardi 31 octobre 2017

Comme disait Rimbaud

Arthur Rimbaud
" Aux Etats-Unis, pour avoir une chance d'être publiés, les auteurs sont quasiment obligés de passer par des ateliers d'écriture. Les stars des lettres (sic) y interviennent ", nous informe Livres-Hebdo Alors, si les étoiles des lettres y interviennent, forcément...
Qu'en aurait pensé Rimbaud ? Il écrivait à Paul Demeny, le 15 mai 1871, ceci : "Je veux être poète, et je travaille à me rendre Voyant. (...) Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens.  Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, -- et le suprême Savant ! -- Car il arrive à l'inconnu ! "
On dira, à juste titre : Rimbaud n'écrivit pas des romans, monsieur le libraire.
Pendant ce temps, les cours d'écriture forment une tendance depuis plusieurs années au pays des Illuminations. Il en existe chez les éditeurs eux-mêmes, Gallimard par exemple. Leïla Slimani, prix Goncourt en 2016 pour Chanson douce (Gallimard)  parle ainsi de son expérience : « Je ne crois pas qu'on apprenne à écrire. En revanche, on peut débloquer certaines choses, renouveler son envie, se désinhiber au contact de quelqu'un. Quand j'ai suivi les ateliers Gallimard, j'étais dans un moment de grand doute, je venais d'envoyer un roman qui avait été refusé. Je me suis retrouvée avec des amoureux de littérature, et ça m'a redonné envie d'écrire. Mais ces ateliers sont surtout efficaces pour ceux qui ont déjà l'écriture en eux. »
Jean-Philippe Arrou-Vignod, auteur bien connu de la jeunesse, a consigné, lui, son expérience dans un livre proposé à ceux qui ressentent le prurit littéraire, pour partager " un savoir-faire et le goût de son métier. ".
Jean-Philippe Arrou-Vignod, Vous écrivez.
Le roman de l'écriture, Gallimard,
208 pages, 18 €

lundi 30 octobre 2017

Laoshu, un Sempé chinois

Laoshu, Un monde simple et tranquille, traduit
du chinois et présenté par Jean-Claude Pastor,
Picquier, 26 €
Un monde simple et tranquille !
Vous avez bien lu : Un monde simple et tranquille.
Non, mais quel doux provocateur ce Laoshu ! Il n'a pas froid aux yeux, et terriblement chaud au cœur, pour s'exprimer ainsi, ce gobe-lune dont le nom (un pseudonyme) signifie " Vieil arbre ".
S'exprimer comment, précisément ? Eh bien, à mi-chemin de la tradition poétique et picturale chinoise et de la plus actuelle actualité -- dont il s'agit pourtant, si le libraire a bien compris, de savoir se détacher, se déprendre et prendre le chemin des nuages, de la neige, des arbres en fleurs, un livre des poètes classiques à portée de main.
Il s'agit d'un livre de dessins accompagnés de poèmes courts que les Occidentaux bavards trouvent souvent " minimalistes ". Ou bien naïfs -- leur auteur ne se présente certainement pas comme un fier-à-bras cynique et revenu de tout.
Bien sûr, il est un peu trop à la mode de se dire que les " gens pensent trop ". Il arrive bien qu'ils ne pensent pas assez.
Mais prendre un petit verre de poésie en compagnie de cette vieille branche de Vieil arbre ne saurait nuire à votre journée, ni à la suivante et quelques autres encore.

Chacun a ses défauts,
Nul n'est meilleur qu'autrui.
Nous sommes tous voués à une fin,
Qui peut prétendre être supérieur ?
Seul le désir permet de répondre au monde,

Seul le détachement nous rend libres.
Le vent s'est levé !
 

dimanche 29 octobre 2017

Paul Léautaud en forme

Paul Léautaud, Journal littéraire,
Folio, 1312 pages, 14,90 €
" Tout livre qu'un autre aurait pu écrire est à mettre au panier. "
" Savoir bien écrire mal, dis-je quelquefois. "
" Ecrire de telle façon, d'une manière si bien accordée à l'homme qu'on est, qu'on reconnaisse tout de suite l'auteur rien qu'à lire trois phrases, c'est donné à très peu. "
" C'est un curieux  mécanisme intellectuel que celui de l'écrivain. Il m'est arrivé d'avoir de grands chagrins. Avec ma manie de tout écrire, je les ai mis sur le papier.  Aussitôt consolé. "
" Rien ne fait mieux écrire que d'écrire sur ce qu'on aime. "
Avec Paul Léautaud (1872-1956) ce petit jeu des citations pourrait continuer longtemps. Car s'il a, somme toute, produit peu de livres et aucun roman, son célèbre Journal littéraire  est une mine pour ce genre d'exercices :  le trait d'esprit (souvent injuste, méchant parfois), le non-conformisme, la vacherie, la flânerie littéraire sans ordre et l'auto-dérision. Ce monument occupe un rayon entier de bibliothèque, mais on pourra en lire des extraits chez Folio.
Les éditions Horay republient aujourd'hui une sélection de bons mots de Léautaud qui furent collectés par Hubert Juin, un parfait critique littéraire et homme de lettres oublié, qui a préfacé impeccablement le recueil. Avec en quatrième de couverture ce regret exprimé par Léautaud que partage le libraire : "Dire qu'il faudra partir un jour, alors que tant de gens continueront à faire l'amour. "
Le Petit ami, disponible dans la collection L'Imaginaire, reste un ouvrage stupéfiant de légèreté et de liberté de ton, tandis que Léautaud y expose une sensibilité souvent cachée sous l'ironie et une permanence tendance à ronchonner.
Paul Léautaud, Le Petit ami,
L'Imaginaire, 224 pages, 8,90 €