samedi 9 juillet 2016

Le meilleur ami de Montaigne et de l'homme

La Boétie, Discours de la servitude
volontaire, GF, 238 pages, 5,90
Les élèves fondus de maths, de physique et de chimie qui préparent leur entrée aux grandes écoles scientifiques cette année n'ont pas toutes les malchances.
Le programme de français-philosophie, qui porte sur
le thème " Servitude et soumission ", implique l'étude
du Discours de la servitude volontaire, d'Etienne de La Boétie, l'ami sarladais de Montaigne ( " Parce que c'était lui, parce que c'était moi "). On a vu pire.
Lorsqu'il rédige ce brûlot de quelques dizaines de pages, La Boétie a quasiment le même âge (dix huit ans) que les élèves qui doivent aujourd'hui plancher sur son texte. Nous sommes en 1549. Depuis, bien qu'il soit moins épais que les Evangiles,  Le Prince de Machiavel ou Le Traité de désobéissance civile de Henry David Thoreau, il a fait comme eux le tour du monde. La question qu'il pose est de savoir comment un seul homme peut imposer son pouvoir à tous les autres et le maintenir.
Il n'échappe évidemment pas à La Boétie qu'un phénomène aussi extraordinaire que la tyrannie ne serait pas possible si le tyran n'usait de stratagèmes éprouvés (du pain et des jeux) pour le maintenir dans la soumission. Mais toute l'originalité de sa thèse consiste à dire que le peuple, de son côté, participe à sa propre oppression et apporte son soutien actif à la tyrannie. 
La devise de La Boétie que devront méditer les heureux étudiants est la suivante : " Ce sont donc les peuples mêmes qui se laissent ou plutôt se font gourmander, puisqu'en cessant de servir ils en seraient quittes. "
Le libraire vous souhaite un bon samedi.

vendredi 8 juillet 2016

Deux récits intimistes

Pierre Bergounioux, Cousus ensemble,
Galilée, 66 pages, 14 €
... mais pas nombrilistes. Dans Cousus ensemble, Pierre Bergounioux s'interroge sur les moments de grâce parfaite qu'il a pu connaître dans son existence. Et très vite pose le diagnostic qu'ils furent, si on pouvait les coudre ensemble, d'une étoffe  très éphémère et très inexplicable.
Sur le ton de la confidence, qui n'exclut pas la gravité ni ne gomme l'existence du monde extérieur, Bergounioux reprend et reprend de nouveau sa phrase longue et riche pour recouvrer par l'esprit ses moments de bonheur dans la petite enfance et plus tard et s'apercevoir que, mis bout à bout dans la totalité de sa vie, ils n'ont guère occupé davantage que " l'espace d'une matinée ".
Ecrit dans un jardin, ce sont quelques pages rééditées
de Marguerite Yourcenar. Quelques pages consacrées
à l'air et au feu, à la terre et à l'eau, comme dans le signe alchimique. Quelques pages prélevées au grimoire de la nature pour dire, là aussi, quelques instants privilégiés,
des " instantanés ", pressés de passer comme la flèche ou la flamme de quelques oiseaux. " L'espace d'un déclic ". 


Marguerite Yourcenar;
Ecrit dans un jardin,
Fata Morgana, 10 €



jeudi 7 juillet 2016

Quels choux ces monstres !

Alors qu'ils n'ont pas encore rencontré Quasimodo, les Cyclopes, Dracula ou Mr Hyde,
les enfants donnent à leurs peurs sans nom différentes formes d'entités monstrueuses.
Celles-ci habitent la Forêt-monstre, la ville-monstre, la nuit-monstre, la chambre-monstre ou le tout ensemble.

Enrique Quevedo, A la nuit tombée,
Seuil Jeunesse, 13,50 €


Valentin Mathé, Eva Bourdier,
Des monstres dans la ville, La poule qui pond, 13,50 €
 


Magdalena, Christine Davenier,
Les Monstres de la nuit, Père Castor, 13,50 €

Ces peurs, on sait bien qu'elles sont ambigües, signes de l'angoisse qui assiège le petit d'homme, mais aussi preuves de son désir d'ouverture et d'aventure.
Du coup, les monstres sont partout. Chez Homère et chez Hugo ; dans les romans gothiques et dans les tableaux de Bosch ; dans le monde du dehors comme dans le monde du dedans. Et dans de nombreux albums pour les enfants. (Le libraire ne compte pas dans son inventaire les créatures qui hantent le dessin animé ou les jeux électroniques.)
L'un des plus connus, et qui engendra une abondante postérité monstrueuse, est l'inoxydable Max et les Maximonstres de Maurice Sendak, au dessin très sûr, et où l'on voit Max devenir le roi des Maximonstres, ou se prendre pour tel, avec pour unique devise : même pas peur !

Maurice Sendak, Max et les Maximonstres, Ecole des loisirs, 12,70 €


mercredi 6 juillet 2016

On y danse, on y danse !

Emmanuelle Loyer, Antoine Baecque,
Histoire du festival d'Avignon, Gallimard, 648 pages, 42 €
C'est aujourd'hui que s'ouvre le festival d'Avignon, soixante-dixième du nom. " In " officiel et
" off  " indépendant réunis, tous les styles de spectacle y seront représentés jusqu'au 24 juillet : théâtre, musique, danse, mais aussi marionnettes, cirque, poésie, clowns.
Depuis sa création où, sous l'impulsion de Jean Vilar,
il durait une semaine et présentait quelques pièces, le festival est passé par de nombreuses mutations, quelques orages, plusieurs réformes et maintes mises en scène scintillantes.
C'est ce passé que relate en détail, jusqu'aux dix dernières années,
la nouvelle édition, revue et augmentée de L'Histoire du Festival d'Avignon. Compagnies, acteurs, metteurs en scènes qui ont défilé à Avignon s'y trouvent restitués, de même que sont retracés les enjeux politiques et culturels d'une manifestation publique aux dimensions internationales.

mardi 5 juillet 2016

La table raconte le monde

Massimo Montanari, Les Contes de la table,
traduit de l'italien par Jérôme Nicolas,
Seuil, 253 pages, 19
Que la littérature et l'imaginaire soient remplis de rêves liés à la nourriture et aux saveurs ne devrait pas surprendre les gourmands, dont le libraire fait partie.
Les romans de chevalerie, les contes, les vies des saints, notamment, en sont, si l'on ose dire, truffés. L'historien Massimo Montanari a eu l'idée  d'en extraire le suc dans des contes traditionnels, pour la plupart traditionnels, qui nous transportent au moyen-âge dans la peau de Charlemagne, de saint François d'Assise ou encore de Christine de Suède. C'est au pays de Cocagne que, fort logiquement, se termine ce voyage chez les bons vivants du passé européen.
" La table raconte la faim et les efforts des hommes pour la transformer en source de plaisir. Elle raconte l'économie, la politique et les rapports sociaux.  Elle révèle les traits intellectuels, philosophiques et religieux d'une société. La table raconte le monde ", écrit Massimo Montanari.
Le livre est pimenté par les illustrations bicolores, oranges et noires, façon années 1950, de Harriet Taylor Seed.
Bernard Pivot avait animé un célèbre Bouillon de culture, on s'en souvient peut-être.
Ce Lyonnais de naissance nous parle de festins dans son dernier livre. Sauf que ce sont, dit-il,
" les mots qui nous grignotent, ce sont les livres qui nous avalent ", et non le contraire, comme le pensent les auteurs qui se croient  omniscients. Au secours les mots m'ont mangé a été écrit pour être dit sur scène. Un CD l'accompagne de façon à joindre au plaisir gustatif celui de l'audition.

Bernard Pivot, Au secours ! Les mots m'ont mangé,
Allary éditions, 102 pages, 18,90 €

lundi 4 juillet 2016

L'éditeur, le libraire et les haïkus

Pour l'achat de livres de la maison, les éditions Arléa
offrent un recueil de 155 haïkus
rédigés par libraires et représentants amis.
 
155 haïkus de libraires, Arléa, hors commerce
 
On trouve en page 46 du livre les haïkus d'A la Page, dont ceux-ci :
 
Noël : aïe !
l'office sera lourd
à digérer

Lire l'essai
le relire j'essaie
ah !

Je pose mon livre
mille mouettes libres
dans les yeux
 
Il nous reste encore quelques exemplaires à vous offrir,
mais dépêchez-vous !

dimanche 3 juillet 2016

En pensant à Yves Bonnefoy


" Qu'est-ce, en effet, que le soleil sur la mer le soir, sinon la vie rencontrant la mort, mais avec déjà, sous-jacente, la pensée que demain la lumière à nouveau emplira le ciel, bien que montant d'un autre point de l'espace, nullement de ce havre merveilleux où entre maintenant la barque chargée de flammes ? Mort, mais qui parle de résurrection à ceux qui s'attardent sur le rivage, eux à contre-jour pour le peintre qui tenterait de représenter cette scène. Mort qui demande à ces passants de se détourner  du couchant pour réfléchir à ce qui se joue déjà à l'intérieur des terres enténébrées si ce n'est pas d'eux-mêmes, dans des profondeurs à comprendre. "
 
Yves Bonnefoy
1923-2016
L'Echarpe rouge, Mercure de France, avril 2016