samedi 2 septembre 2017

Haro sur le Thoreau

Henry David Thoreau, Walden, traduit de
l'américain par Jacques Mailhos,
Gallmeister, 392 pages, 10 €
Les éditeurs français semblent apprécier Henry David Thoreau (1817-1862). L'étal du libraire se couvre de petites fleurs de Concord et de Walden, qui sont dans la Nouvelle-Angleterre où il naquit. Outre l'entreprise au long cours des éditions Finitude pour donner aux lecteurs une traduction complète du Journal de Thoreau, qui est sans doute le travail éditorial le plus ambitieux entrepris ces dernières années, retraductions et republications de traductions existantes viennent se  concurrencer.
De la Marche, excitant petit texte disponible chez Mille et une nuits depuis 2003 se retrouve sous le titre Marcher chez Le Mot et le reste (qui le proposaient déjà dans un beau volume d'Essais, qui va se trouver découpé en rondelles) ; Teintes d'automne (Le Mot et les reste) vient bousculer Couleurs d'automne, publié chez Premières pierres du temps où ce texte était inédit en français, déjà chahuté par Marche d'hiver, couleurs d'automne qu'avait  repris Mille et une nuits. De sorte que ce même texte figure, au bas mot, dans quatre livres.  Et puis, il y a Walden, que tout le monde aime : les éditions Gallmeister en donnent une nouvelle traduction (à laquelle est jointe un discours d'Emerson, le mentor de Thoreau), destinée à rafraîchir celle dont on disposait dans L'Imaginaire. Tandis que la collection Spiritualités vivantes ne se gêne en rien pour reprendre la même traduction que celle disponible dans L'Imaginaire, signée en 1922 par Louis Fabulet, qui fit, lui, œuvre de véritable pionnier et qui est aujourd'hui tombée dans le domaine. Sans parler de la traduction qu'en proposait naguère L'Age d'homme ni de celle qui figure aux éditions Le Mot et le reste..
La sauvagerie se porte bien, mais la place va bientôt manquer pour l'accueillir en librairie.
Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans
les bois, traduit de l'américain par Louis
Fabulet, L'Imaginaire,
384 pages, 12,50 €


vendredi 1 septembre 2017

Les Vraies richesses

Kaouther Adimi, Nos richesses, Seuil,
218 pages, 17 €
Le nom d'Edmond Charlot n'est certainement pas dans toutes les têtes. C'est pour cette raison sans doute que Kaouther Adimi a entrepris de l'honorer par un roman.
Edmond Charlot (1915-2004) fut ce qu'aujourd'hui l'on appellerait un éditeur indépendant. Un éditeur d'une grande finesse, car c'est lui qui publia le premier texte d'Albert Camus. Installé à Alger, au fond de sa librairie à l'enseigne de " Les vraies richesses " (en hommage à Jean Giono), Charlot est encouragé par Jean Grenier, son professeur de philosophie, à se lancer pour de bon dans l'édition. En 1936, il publie L'Envers et l'endroit de Camus, des textes de Max-Pol Fouchet (1913-1980) et de Grenier. Sa passion de l'édition le possédera (quel autre mot employer ?) toute sa vie, durant laquelle alterneront ses séjours entre l'Algérie et la métropole.
Le roman de Kaouther Adimi nous conduit des premiers pas de l'éditeur en Algérie française jusqu'au début des années 1960 où l'Algérie est devenue algérienne. La petite librairie, désormais sise au 2 bis rue Hamani, est plastiquée en 1961. Les archives d'Edmond Charlot concernant Camus, entre autres, ont été entièrement détruites et l'éditeur, qui avait publié les poètes de la Résistance lors de la seconde guerre, devra prendre le chemin de Paris. Il y poursuivra le même type de carrière.
A qui lui demande sa recette pour favoriser l'éclosion des jeunes talents d'écrivain, Kaouther Adimi imagine la réponse suivante :
Achetez une table, la plus ordinaire possible, avec un tiroir et une serrure.
Fermez le tiroir et jetez la clé.

Chaque jour, écrivez ce que vous voulez, remplissez trois feuilles de papier.
Glissez-les par la fente du tiroir. Evidemment sans vous relire. A la fin de l'année vous aurez à peu près 900 pages manuscrites. A vous de jouer.
Les Vraies richesses

jeudi 31 août 2017

L'imbécile qui est en nous

Maurizio Ferraris, L'imbécillité est une chose
sérieuse, traduit de l'italien par Michel Orcel,
PUF, 146 pages pour un sujet illimité, 12 €
Comment un tel titre n'aurait-il pas immédiatement éveillé l'intérêt du libraire ? Chose sérieuse, en effet, que ce petit traité de l'imbécillité universelle et concentrée. A son menu quatre plats : Imbécillité de masse ; imbécillité d'élite ; l'imbécillité comme facteur politique ; dialectique de l'imbécilisme, le tout encadré par un prologue et un épilogue.
Tout le monde est visé (sauf vous, aimable lecteur, unique et préféré d'A la Page). Tout le monde en prend pour son grade. Les personnages les plus connus (Napoléon, Nietzche, Foucault, Paul Valéry, Heidegger ou Lacan) et moult imbéciles anonymes, parmi lesquels l'auteur lui-même n'hésite pas à se ranger, par quoi il semble s'accorder un soupçon d'intelligence (ce qui est bien bête). " L' homme de bon sens est éternellement  tourmenté par le soupçon  qu'il est imbécile et voit s'ouvrir devant lui l'abîme de l'imbécillité, tandis que l'imbécile est fier de lui. ", comme l'a fort bien dit le philosophe espagnol Ortega y Gasset, lui même un fieffé demeuré dans ses déclarations envers les femmes.
Au fait, quelle différence existe-t-il entre les stupides, les imbéciles, les crétins et les cinglés ? Et la notion du crétinisme général et individuel n'a-t-elle pas évolué dans le temps, chaque période se créant ses représentations ? Maurizio Ferraris s'attaque à ces brûlantes et, il faut le dire, passionnantes questions aussi. Sans dévoiler le pot aux roses, une sortie acceptable de l'imbécillité se trouve peut-être dans le rire, bien qu'il y ait des rires, et même des sourires, qui sont des signes de parfaite idiotie. En définitive, l'auteur plaide pour le sens du ridicule comme condition nécessaire mais non suffisante pour échapper à notre condition.
Le libraire a beaucoup aimé ce livre éclairant, qui n'est pas classé au rayon humour mais au rayon philosophie, et a définitivement pour lui d'avoir su traiter en 146 pages seulement un sujet illimité. 

mercredi 30 août 2017

L'empereur et l'horloge éternelle

Christoph Ranmayr, Cox ou la course du temps,
traduit de l'allemand par Bernard Kreiss,
Albin Michel, 320 pages, 22,50 €
L'écrivain autrichien Christoph Ransmayr a su, lui aussi, après son Atlas d'un homme inquiet, sortir du temps présent dans son dernier roman. C'est en Chine et au XVIIIe qu'il nous transporte dans cette fable qui est un voyage dans le temps et l'espace, donc.
L'empereur Qianlong (1711-1799), le Seigneur des Horizons, l'Invincible, appelle auprès de lui le plus célèbre horloger de l'époque, Alistair Cox (prête-nom de James Cox, inventeur d'automates britannique)
 et lui demande de réaliser pour lui des horloges
 d'une complexité inouïe.
" L'empereur voulait que Cox lui construise des horloges pour les temps fuyants, rampants ou suspendus d'une vie humaine, des machines qui indiqueraient le passage des heures ou des jours --
le cours variable du temps -- selon qu'il était ressenti par un amant, un enfant, un condamné ou d'autres hommes, prisonniers des abîmes ou des geôles de leur existence ou planant au-dessus des nuages de leur bonheur. (...) Mais les souhaits étaient-ils vraiment si faciles à lire, surtout si cet empereur se cachait derrière un paravent couvert de mots peints ? "
Christoph Ransmayr profite de cette trame romanesque pour poser la question, profondément intrigante, de la perception et  de la maîtrise du Temps par les hommes et leurs maîtres. C'est folie que de vouloir posséder la clé de l'horloge éternelle ; de vouloir prolonger le Temps et de vouloir ainsi en en triompher.

mardi 29 août 2017

Sortir du temps

Christine Jordis, Automnes. Plus je vieillis plus
je me sens prête à vivre, Albin Michel,
286 pages, 19,50 €
Nous avions croisé Christine Jordis en son magnifique essai sur William Blake (voir billet du 25 juin dernier). Le même esprit de culture (vraie, profonde, assimilée) ; la même vitalité lucide ; le même souci des possibilités de sortir la tête hors du temps anime ce nouvel essai consacré à la vieillesse. Ou, plus exactement, selon l'auteur, aux vieillesses, tant il revient à chaque personne de faire face à la sienne. Et, du reste, peut-on définir chacun de nous par son âge, son âge officiel ? . Qu'on ne pense pas trouver là un énième manuel à la Jane Fonda, la dame au corps et au sourire de nymphette des émissions télévisées. Il n'est pas question non plus d'adopter une position de déni : la vieillesse, particulièrement, la grande vieillesse, est une chiennerie, affirme sans détour Christine Jordis. C'est sa " vision du vieillir " que nous propose son livre, nourri de toutes les pensées amies (René Char parlait de ses " alliés substantiels ") venues l'épauler au fil des années. A quoi, finalement, servent-ils tous ces livres, et leurs auteurs quand ils sont exemplaires, sinon à nous épauler ?
Il en est un, sur lequel s'appuie Christine Jordis, fine connaisseuse de la littérature britannique, nommé John Cowper Powys qui proposa ses services dans son Art de vieillir.  "  C'était un grand vivant, dit de lui Christine Jordis, jusque dans sa longue vieillesse , quand il se pencha sur l'art du bonheur et le pouvoir de notre esprit de le cultiver. " Justement, est-ce que Powys ne fut pas très tôt un grand vivant ? Est-ce que le meilleur moyen de se faire une " autre " vieillesse ne serait pas de se faire une "autre " jeunesse ?  De sortir du temps le plus tôt possible ?

John Cowper Powys, L'Art de vieillir,
traduit de l'anglais par
Matie-Odile Fortier-Masek,
José Corti, 386 pages,

lundi 28 août 2017

Un Turque à Vichy

Né en 1976 à Diyarbakir, dans le sud-est anatolien, d'une famille arménienne et kurde,
Azad Ziya Eren, biologiste de formation  et instituteur de profession,
est l'un des rares poètes de sa génération  reconnus en Turquie et à l'étranger.
Il sera l'invité des éditions Bleu Autour et de la librairie A la Page
SAMEDI 30 SEPTEMBRE 2017.
Prenez vos précautions pour cette rencontre exceptionnelle.