jeudi 10 novembre 2016

Renaissance de Lucky Luke

Acgdé et Jul, La Terre promise, Lucky Comics,
48 pages, 10,60 €
Dans l'actualité Lucky Luke, sans rapport aucun avec certaines nouvelles venues d'Outre-Atlantique, le libraire a relevé trois nouveaux accomplissements.
La Terre promise est le premier d'entre eux, qui prolonge les aventures du célèbre cow-boy au-delà de la mort de Morris et Goscinny. Achdé, pour le dessin, et Jul, pour le scénario, ont repris le flambeau. C'est un pan de l'histoire des Etats-Unis qui est intelligemment évoqué dans le scénario : l'arrivée des immigrants juifs sur le sol américain. Et le mimétisme du dessin entre Achdé et Morris est avéré. De sorte que si vous posez la question : " esprit es-tu là ? " (esprit des pères fondateurs), la réponse est : oui.
Le libraire a ensuite noté la parution de Lucky Luke, recettes pour bien nourrir son cow-boy (allez les dames : au fourneau !). Au menu : cinquante recettes inspirées par les aventures du gardien de vaches qui tirait plus vite que son ombre. Ce livre de cuisine est illustré de nombreux extraits des albums. Rien n'y est vraiment léger, bio ou vegan, moins encore. Il paraît que le tout a été essayé et approuvé par les Dalton.
C'est précisément des frères Dalton dont il est question dans le dernier accomplissement observé par le libraire : la vraie histoire des vrais Dalton, narrée par l'authentique Emmett Dalton, un des quatre frères, et remise en vente par les éditions Payot. L'occasion de parfaire notre connaissance des personnages du second rayon. Les parents de l'horrifique gang, James  Louis Dalton et Adeline Younger-Dalton, donnèrent naissance à quinze enfants. Quatre seulement se firent remarquer par leurs blâmables activités.

Emmet Dalton, Le Gang des Dalton.
Notre véritable histoire, traduit par Emmanuelle et
François Prado, Petite bibliothèque Payot,
206 pages, 8 €


mercredi 9 novembre 2016

Rencontres avec Giacometti

Alberto Giacometti, Je fais certainement
de la peinture..., Hermann, 63 pages, 8 €
Les écrits des peintres et des artistes ont souvent la franchise, le côté direct et spontané qui manquent parfois à l'écrivain et au critique -- surtout à l'écrivain et au critique de profession.
Ainsi  Alberto Giacometti fit la réponse suivante à une question relative à son art et à ses motivations : " Je fais certainement de la peinture et de la sculpture et cela depuis toujours, depuis la première fois que j'ai dessiné ou peint, pour mordre sur la réalité, pour me défendre, pour me nourrir, pour grossir ; grossir pour mieux me défendre, pour mieux attaquer, pour accrocher, pour avancer le plus possible sur tous les plans, dans toutes les directions, pour me défendre contre la faim, contre le froid, contre la mort, pour être le plus libre possible ; le plus libre possible pour tâcher -- avec les moyens qui me sont aujourd'hui les plus propres -- de mieux voir, de mieux comprendre ce qui m'entoure; de mieux comprendre pour être le plus libre, le plus gros possible, pour dépenser, me dépenser le plus possible dans ce que je fais, pour courir mon aventure, pour découvrir de nouveaux mondes, pour faire ma guerre, pour le plaisir ? pour la joie ? de la guerre, pour le plaisir de gagner et de perdre. "
Ces lignes, qui montrent bien à quelle hauteur Giacometti situaient ses ambitions, se trouvent dans Je fais certainement de la peinture, petit volume d'écrits et d'entretiens qui vient de paraître.
Le lecteur complètera sa rencontre avec Giacometti grâce au portrait chaleureux, devenu un classique, qu'en traça naguère Jean Genet sous le titre de L'Atelier de Giacometti.
Il ne lui sera pas interdit de se procurer un récent Picassso/Giacometti, chez Flammarion. Le parallèle proposé entre les deux artistes permet de se repaître de nombreuses reproductions de leurs œuvres.

Jean Genet, L'Atelier d'Alberto Giacometti;
Gallimard, 96 pages, 21,50 €

mardi 8 novembre 2016

Femmes poètes et culottées

Françoise Chandernagor, Quand les femmes
parlent d'amour, une anthologie de la
poésie féminine, Cherche Midi, 252 pages
19 €
Laissant derrière nous les femmes soi-disant sorcières d'un tout récent billet (c'était le 6 novembre), le libraire s'est penché sur les femmes poètes à travers l'anthologie de Françoise Chandernagor.
Bonne idée s'il en est.  Un peu prudente quand même ou imprudente, cela dépend : " on regrette cependant, écrit Françoise Chandernagor dans sa préface, que le corps de l'amant soit si rarement décrit (...) aucune femme n'a jamais écrit le ' blason ' du corps masculin. "
Et le libraire de penser derechef (voir son billet du 15 octobre) à Mireille Sorgue, si ce n'est aux poèmes 
" nocifs " de Joyce Mansour ou, plus secrète encore, à Anne-Marie Beeckman. Ou à Valérie Rouzeau :

A quatre heures du matin sous la lune il sort
En costume d'Adam mon amant va respirer la rose
La rose éclose dans la cour grise
A quatre heures nu sous la lune la ville aurait pu le voir
avec la rose
Alors j'ai grimpé à son cou
Comme un lierre comme trémière
La rose.

                     
 (Quand je me deux, Le Temps qu'il fait)

Enfin, ça lui est une joie, au libraire, de retrouver SaphoMarguerite de Navarre, Catherine Pozzi ou Anne-Perrier (francophone, mais pas française) et bien d'autres.
C'est une autre forme d'anthologie  qu'a concocté Pénélope Bagieu. Un hommage en dessinées à quinze femmes d'exception. Son titre : Culottées. Pour souligner leur audace, qu'elles soient nageuses ou impératrices, gardiennes de phare ou travailleuses sociales ; qu'elles aient vécu dans l'Antiquité, il y a deux siècles ou de nos jours.
Pénélope Bagieu, Culottées 1, Gallimard,
142 pages, 19,50 €

 

lundi 7 novembre 2016

Querelles de bandeau

Entourant chacun des exemplaires du roman de Gaël Faye, Petit pays,
le libraire vient d'aviser
le bandeau suivant, tout frais sorti de l'imprimerie,
et jaillissant des nombreux cartons qu'il ouvrait le matin :
 

Soit il s'agissait d'un lapsus de son éditeur (la maison Grasset),
soit d'un peu diplomatique oubli
qu'il existe des libraires indépendantes,
soit de l'étourderie de quelque magasinier à qui
l'on pourrait faire porter le chapeau -- pardon, le bandeau.
Toujours est-il que le libraire courroucé eut tôt fait
de corriger la situation en lacérant la bande de papier coupable
et en la remplaçant par une signalisation domestique,
populaire sur toute la planète :


Le roman de Gaël Faye restant en compétition
pour le prix Interallié, c'est un nouveau bandeau qu'il portera
peut-être demain.

dimanche 6 novembre 2016

Chasseurs de sorcières

Carole Sandrel, Le Sang des sorcières,
François Bourin, 324 pages, 22 €
On le savait , au moins depuis Michelet, relayé par des historiens des années 1950 et certains de leurs successeurs : un crime de masse fut commis contre les femmes accusée de sorcellerie au Moyen-Âge.
La comptabilité du nombre de mortes varie selon les sources, mais elle reste effroyable.
Les poètes, les théologiens, les démonologues et, sans doute, la misogynie ordinaire, préparèrent de longue date le terrain et poussèrent les présumées sorcières vers les bûchers, comme le pose au départ de son enquête Carole Sandrel.
Ainsi Du Bellay :
... Tu es une attise-querelle,
Tu es sorcière et maquerelle,
Tu es hypocrite et bigote,
Et toujours ta bouche marmotte ...

Ainsi Ronsard, celui de "mignonne allons voir si la rose" :
... vieille sorcière deshontée,
Que les bourreaux ont fouettée
Te honnissant de coups...

Ainsi Platon, qui décréta : " Il n'y a que les hommes qui ont été créés directement par les dieux  et qui possèdent une âme. " Et les Pères de l'Eglise ne furent pas en reste dans cette curée. Ainsi Thomas d'Aquin : " La femme est quelque chose de défectueux et de manqué. "
Le Sang des sorcières instruit un contre-procès, qui retrace l'histoire de la chasse aux sorcières et nomme ses acteurs au cours des siècles (avec la période 1560-1630 comme apogée), ainsi que ses quelques courageux opposants. Et l'auteur propose en conclusion une réhabilitation mémorielle des soi-disant sorcières dont on connaît le nom.
De son coté, Folio réédite l'essai romantique que Michelet a composé comme une tragédie, et à qui l'on reprocha de s'être abandonné à une apologie du démonisme : La Sorcière.

Michelet, La Sorcière, préface de
Richard Millet, Folio classique,
480 pages, 5,90 €