samedi 6 février 2016

La Havane et Londres

Alejo Carpentier, La Cité des colonnes,
Photographies de Paolo Gasparini,
traduction de Julian Garavito,
Le Temps des cerises, 92 pages, 15 €
Deux beaux livres sur des grandes villes, très différents l'un de l'autre, viennent de paraître. Le premier concerne La Havane et l'autre Londres. Le premier a la concision d'un
essai et d'une petite promenade sous la lumière violente ; le second a l'épaisseur d'une Bible et la structure complexe d'un labyrinthe.
C'est Alejo Carpentier (1904-1980),  écrivain cubain dont le père était architecte, qui nous livre sa perception des rues de La Havane, suffocante de chaleur et, conséquemment, abritée sous des arcades, des patios, des arrière-cours.
La Havane a été progressivement inventée par des artisans ingénieux. Témoins les esquinas de fraile, les coins de rue conçus pour abriter du soleil, ainsi que les medios puntos, impostes en vitraux placées au-dessus des fenêtres et, aussi bien, le badigeonnage des murs destiné à neutraliser la réverbération tropicale. Ces pages contiennent beaucoup de science, mais parfaitement digérée

et poétiquement offerte au lecteur. A noter, les merveilleuses photographies en
noir et blanc de Paolo Gasparini qui jalonnent la promenade havanaise.
Le livre londonien de Peter Ackroyd est étourdissant d'érudition, parfaitement assimilée

elle aussi. Cette biographie de la ville nous conduit à travers le temps et l'espace dans ses moindres recoins. Rien n'est étranger à Peter Ackroyd. Ni les origines géologiques de
LLyn-don (ou Laindon) ; ni ses envahisseurs successifs ; ni l'argot de ses habitants, leurs métiers, leurs violences, leurs pubs, leurs bas-fonds, leurs assassins, leurs recettes de cuisine (mais oui !).
Ni ses écrivains, bien sûr, Charles Dickens en tête.
Le libraire ne connaît pas d'équivalent à ce livre d'un seul volume pour aucune ville.


Peter Ackroyd, Londres La biographie,
traduit de l'anglais par Bernard Turle,
Philippe Rey, 926 pages, 13,90 €

vendredi 5 février 2016

Chômeurs du XVIIIe siècle

Catherine Doleux, Chômage :
tous vos droits 2016,
Prat, 198 pages, 23 €
Le librairie a continué sa lecture du Tableau de Paris que Louis Sébastien Mercier publia en 1781 et qu'il évoquait ici pas plus tard que le 29 janvier dernier.
Et quelle découverte a-t-il fait cette fois ? Celle de... Pôle emploi. Jugez-en par vous-mêmes :
" Parmi tant de bureaux qui vous vexent, vous tourmentent, vous pillent (...) il en manque un qui serait infiniment utile.
Ce serait un registre où tout homme qui veut travailler,
en quelque genre que ce fût, s'offrirait en exposant son âge,
 sa demeure et ses talents. D'un autre côté, un registre semblable recevrait toutes les demandes possibles. Puis des hommes intelligents, faisant la comparaison, rapprocheraient les demandes et les personnes.
N'est-ce pas ce qu'on appelle le hasard qui a placé une foule de gens inoccupés, qui leur a donné de l'emploi ? Pourquoi ne pas hâter ce hasard, ou plutôt le faire naître dans une ville où il y a une multitude de besoins et tant de gens qui cherchent à travailler pour les autres ?  (...) Quoi ? voilà un homme qui
a des talents, et il n'y aurait point de place pour lui dans le monde ?
Les petites affiches sont insuffisantes à cet égard. (...) Des registres toujours ouverts et que chacun viendrait consulter à toute heure ; des commis habiles dans cette partie d'administration, ferait disparaître la race des désœuvrés, ou ne leur laisserait aucune excuse. "
( Le Tableau de Paris, Tome VI, 509. Bureau qui manque à Paris.)
Trop fort, Louis Sébastien Mercier, trop fort !



jeudi 4 février 2016

Un promeneur inspiré

Michéa Jacobi, Le Piéton chronique. Carnet de
promenades, Parenthèses, 531 pages, 16 €

Le libraire signalait il y a quelques jours le livre de Michéa Jacobi, Xénophiles. Le cadre ne s'y prêtait peut-être pas, mais il aurait dû dire tout le bien qu'il pense d'un livre du même auteur paru il y a quatre ans (une éternité pour les éditeurs qui doivent faire marcher la planche à romans) :
Le Piéton Chronique, carnets de promenades.
Il s'agit d'un recueil de chroniques paru dans Marseille L'Hebdo pendant dix ans. Toutes les semaines une petite chronique calibrée, si bien que chaque mot a son poids et doit être finement choisi pour ne pas usurper la place d'un autre. Michéa Jacobi a ce talent. Auquel s'ajoute son humour, son humanité et, ce qui revient au même, la générosité de sa vision du monde. Résultat : entre le 30 septembre 2000 et le 21 septembre 2011, les Marseillais ont pu se régaler de petits textes suggérés par les rues, les gens, les recoins, les odeurs et les lumières.
Elles n'ont rien à envier à celles des maîtres du genre, comme Léon-Paul Fargue ou Henri Calet concernant les quartiers de Paris. Le compliment n'est pas mince.
Les chroniques marseillaises ont été ensuite publiées dans un format proche du carré ;
et comme il est épais, on dirait un pavé semblable à ceux qui recouvraient les rues de Marseille (je suppose), de Paris (j'en suis sûr) et d'ailleurs.
Un talent n'allant pas seul, Michéa Jacobi  a lui-même illustré chacune de ses vadrouilles d'une linogravure en couleur. Chapeau Michéa !


Une chronique et sa linogravure

mercredi 3 février 2016

Petits espaces

Dominique Loreau,
Vivre heureux dans un petit espace,
Flammarion, 221 pages, 9,90 €

Dominique Loreau s'était fait connaître avec L'Art de la simplicité. Elle affine son propos aujourd'hui avec un autre traité : Vivre heureux dans un petit espace.
Dominique Loreau vit au Japon, où elle a largement puisé toutes ces leçons d'espace et de façons de vivre. A notre philosophie dispendieuse en tout, elle préfère l'éthique du seihin, qui signifie pauvreté, droiture, honorabilité. Au château, elle préfère la cahute. Au gros repas,
la frugalité. A l'accumulation, la rareté.
S'appuyant sur de nombreuses citations de poètes et de penseurs orientaux, ou acquis à l'Orient, son livre se veut pratique et dévoile des "astuces " pour se sentir bien dans ses baskets ou, plutôt, ses geta.
Quelques questions demeurent : quand les grands poètes de la Chine déclaraient ne pas désirer une grande maison, c'était une manière directe pour eux de critiquer la vie de cour et ses fastes. Rien à voir avec ce que l'homme de la rue d'aujourd'hui appelle avoir une " belle " maison.
Autre question : si une pièce de 16 m2 coute moins cher qu'un appartement de 150 m2 dans le XVIe arrondissement de Paris, un studio de 16m2 sur la riviera coute plus cher qu'un quatre pièces dans une banlieue déshéritée. Le problème est moins la taille du studio que son emplacement : avec vue sur la mer ou sur un long mur lépreux.
De toute façon, les personnes seules étant de plus en plus nombreuses, tranche Dominique Loreau, il n'y aura peut-être à l'avenir d'autre choix dans les grandes villes que le mini-studio pour tous. " A San Francisco, les urbanistes réfléchissent même à la création de logements
de quinze mètres carrés, l'équivalent d'une chambre d'étudiant. "
Heureusement qu'à San Francisco, il y a un grand parc où les habitants-étudiants peuvent aller respirer et se dégourdir les jambes, se dit le libraire.

Le Golden Park de San Francisco




mardi 2 février 2016

Connaissez-vous Joseph Joubert ?

Joseph Joubert, Pensées, préface de
Thierry Clermont, Rivages poche,
463 pages, 10 € 
Il y a des voix qu'on n'entend jamais, des noms qui ne circulent jamais.
Ainsi de Joseph Joubert (1754-1824). Il est le moins connu des moralistes français. On cite La Rochefoucault, Chamfort de temps à autre, ou La Fontaine, plus souvent. Point Joubert.
Il n'aurait guère existé sans son ami Chateaubriand qui, après sa mort, proposa un choix de "pensées "classées par thèmes, comme à l'école : religion, politique, éducation, littérature et ainsi de suite. Ce qui était mieux que rien. Et c'est cette édition de 1838 qui est ici reprise en poche.
Certaines de ses maximes ne nous surprennent pas :
" Rien n'est pire au monde qu'un ouvrage médiocre qui fait semblant d'être excellent. "
" Enseigner c'est apprendre deux fois. "
" La sagesse est le commencement du beau. "
D'autres, sont œuvre de poète :
" La lyre est en quelque manière un instrument ailé."
" Le ciel a donné aux enfants une grande abondance
de larmes. "
" Qu'est-ce qu'un diamant si ce n'est un peu de boue lumineuse ? "
" Toutes les langues roulent de l'or. "
Il existe un autre choix de pensées de Joubert chez José Corti. Le lecteur qui voudrait lire l'ensemble de ses notes, reproduites dans l'ordre chronologique où elles furent consignées par leur auteur, devrait se reporter aux deux volumes publiés chez Gallimard.
Il y a des voix qu'on n'entend jamais, disait le libraire. Mais Joubert voulait-il être écouté ? Rien n'est moins sûr. En attendant, il ressemblait à ceci que vous voyez, ci-dessous à droite.
 


lundi 1 février 2016

Bébé s'endort

Gilles Bachelet, Une histoire qui...,
Seuil jeunesse, 32 pages, 13,90 €
Gilles Bachelet est l'auteur de l'inoubliable Mon chat le plus bête du monde (Prix Baobab 2004). Un de ces albums conseillés aux lecteurs de 5 à 555 ans pour leur grande, leur profonde, leur philosophique loufoquerie.
Né en 1952 à Saint Quentin, Gilles Bachelet, après deux années catastrophiques pendant lesquelles il fréquente plus le marché de la rue Mouffetard que le Lycée Henri IV, se retrouve en pension à Saint-Lô. En 1971 il rentre à Paris et s'inscrit en Faculté d'arts plastiques tout en préparant l'École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs.
Il y passera cinq ans. À partir de 1977, il commence à démarcher la presse. Les commandes affluant, il quitte
les Arts Déco (sans diplôme) pour le monde du travail. Depuis ce jour, il exerce la profession d'illustrateur indépendant pour la presse, l'édition et la publicité et enseigne l'illustration et les techniques d'édition à l'École Supérieure d'Art de Cambrai.
Si Gilles Bachelet, de son propre aveu, publie peu, il publie bien : il raconte aujourd'hui à l'usage des bébés  nés récemment (et même à ceux nés en 2017, ce qui est plus original) une histoire qui..., une histoire que... Enfin, une histoire quoi... où l'on voit une maman la tête en bas, un papa de l'espace, un doudou aquatique, un autre au long bec, un bébé qui babille...
Le tout servi par le dessin d'une grande justesse de Gilles Bachelet : l'idéal pour bien s'endormir par tous les temps.