samedi 24 décembre 2016

Cézanne, Zola et puis Ramuz

Paul Céznne, Emile Zola,
Lettres croisées 1858-1887,
Gallimard, 22,50 €
" Ah ! mon pauvre cher, que je suis loin de t'imiter. -- Pour l'instant, mon poêle étant éteint, crainte du froid aux pieds, j'écris dans mon lit, fort peu à mon aise, tu peux croire car je tiens ma bougie d'une main et de l'autre je griffonne à grand'peine. D'ailleurs, le matin, lorsque je pourrais écrire ceci ou cela, je reste au lit à rêvasser, le tout par paresse d'allumer mon feu. C'est ma chanson éternelle : je travaillerais bien si j'avais mon poêle allumé , mais rien n'est ennuyeux comme un tel préparatif ", écrivait Emile Zola à son ami Paul Cézanne le 5 février 1861.
Quand on se souvient que Zola mourut (en 1902) asphyxié par son poêle, sa remarque fait à peine sourire.
La correspondance croisée entre les deux hommes dépasse de loin, bien sûr, ces phrases quasi-anecdotiques. On y rencontre une amitié exceptionnelle, ponctuée de nombreux dialogues sur les conceptions esthétiques de l'un et de l'autre. Amitié qui n'aurait pas été scellée (c'est l'enseignement majeur de la présente publication) par la brouille que la critique a longtemps cru déceler entre eux.
Une lettre retrouvée en 2013 permet de battre en brèche une telle théorie selon Henri Mitterand, qui a établi et présenté cette correspondance mise en contexte par ses précieuses présentation et annotations.
Sur Cézanne, le libraire invite à lire deux courts essais de Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1947), qui fut, un temps, le plus parisien des Vaudois et, toujours, l'ami des peintres et des musiciens. L'exemple de Cézanne et Cézanne le précurseur viennent, en effet, de reparaître avec la devise suivante : " Non un Cézanne abstrait, mais tel qu'il convient de l'envisager quand on est, comme nous, à la recherche d'un mode d'expression. "
Charles-Ferdinand Ramuz, L'exemple de
Cézanne. Cézanne le précurseur,
Pagine d'Arte, 18 €


vendredi 23 décembre 2016

La Corée du Sud, la Suisse, la France : un chef-d'œuvre

Elisa Shua Dusapin, Hiver à Sokcho,
Zoe, 141 pages, 15,50 €
" Il est arrivé perdu dans un  manteau de laine. Sa valise à mes pieds, il a retiré son bonnet. Visage occidental. Yeux sombres. Cheveux peignés sur le côté. Son regard m'a traversée sans me voir. L'air ennuyé il a demandé en anglais s'il pouvait rester quelques jours, le temps de trouver autre chose. "

Aimeriez-vous passer l'hiver à Sokcho, ville de province de la Corée du Sud ? Quelle que soit votre réponse, le premier roman d'Elisa Shua Dusapin plaide largement en faveur de ses dons littéraires pour donner à sentir l'atmosphère des lieux : un port au bord de la mer du Japon ; une pension quelque peu décrépite où la jeune narratrice fait la cuisine et le ménage ; les restaurants et les poissonneries où trônent les poulpes et les seiches.
Arrive à la pension un voyageur français qui soulève sa curiosité. Elle a étudié la langue et la littérature françaises. Le dialogue se noue difficilement entre eux, leurs deux cultures. Le Français est dessinateur de bande dessinées. Il vient de Normandie, où elle n'est jamais allée, mais elle a lu Maupassant. Elle est d'une grande délicatesse de caractère et possède une fine intelligence -- qui ne fait pas toujours le sujet des romans --, à la fois énergique et réservée. Elle n'est peut-être pas amoureuse de lui, ni exagérément romantique, mais elle finit par souhaiter une chose : qu'il la dessine, qu'elle soit la femme dans son prochain livre, elle qui a si peu confiance en son apparence, en son être, en cet endroit où la nécessité la retient. Il repartira comme il était venu, laissant à la narratrice son carnet de toile et la saison froide et humide de Sokcho.

" C'était un lieu sans en être un. De ces endroits qui prennent forme à l'instant où l'on y pense puis se dissolvent, un seuil, un passage, là où la neige en tombant rencontre l'écume et qu'une partie du flocon s'évapore quand l'autre rejoint la mer. "

Elisa Shua Dusapin est née en 1992. Son père est français, sa mère sud-coréenne. Elle vit en Suisse. Hiver à Sokcho est publié par Zoe, excellente maison d'édition suisse. Le roman a obtenu le prix Robert Walser 2016. Le libraire est d'accord : il s'agit d'un petit chef-d'œuvre.

Elisa Shua Dusapin



jeudi 22 décembre 2016

Heures ludiques

Quelques après-midi pluvieuses, neigeuses ou légèrement plombées d'ennui sont toujours à prévoir en période de fêtes. Pour y remédier, les éditons Prisma proposent le déchiffrement de cent proverbes réduits à l'état de pictogrammes. Sont soumis à la sagacité des joueurs des expressions proverbiales telles que " se jeter à l'eau ",  " mettre le pied à l'étrier " ou " le jeu en vaut la chandelle ".
Jeu inoffensif et qui ne devrait pas mettre le feu aux poudres ni de l'eau dans le gaz...

Matteo Civaschi, Pictologies, 100 proverbes en bref,
Prisma, 128 pages, 9,95 €

Il existe aussi cette année un petit coffret de 60 cartes, édité par Laroussse,  pour jouer au petit bac. 120 thèmes plus ou moins ardus sont suggérés. " Idéal pour animer vos soirées ! ", s'exclame, un peu à court d'idées, l'éditeur de ce jeu d'allure rétro.
Le Jeu du petit bac, Larousse,
coffret de 60 cartes, 10,95 €

Rétro également l'ensemble de vieilles cartes publicitaires à rébus reproduites dans ce joli format presque carré. Elles flatteront les adeptes de la méthode Boscher, les nostalgiques de la vieille carte de France suspendue au tableau et ceux qui se souviennent du goût du chocolat Sucher.
Freud a dit : " Le rêve est un rébus ".  Réfléchissez-y. Les solutions se trouvent en fin de volume.

Rébus à propos de ce qui se passe,
Actes Sud/Mucem,, 80 pages, 15 €


En attendant, le



vous salue bien


mercredi 21 décembre 2016

Einstein, voyageur solitaire

 
Etienne Klein, Le Pays qu'habitait
Einstein, Actes Sud, 246 pages, 20 €
Dans l'essai qu'il vient de faire paraître chez Actes Sud, Etienne Klein parvient à faire entrer le lecteur dans une grande familiarité avec Albert Einstein. En mettant ses pas dans ceux du penseur et physicien. Zürich, Berne, Prague, Bruxelles : autant de villes, autant de tournants dans ses théories, avant son exil définitif aux Etats-Unis. " Génie du non-lieu ", selon la formule d'Etienne Klein, Einstein disait : " Les coordonnées n'ont pas de sens physique, tous les systèmes de repérage dans l'espace-temps sont équivalents. " Ce qui, traduit par Etienne Klein dans le langage ordinaire, signifie que ce qui avait lieu dans l'esprit d'Einstein était " beaucoup plus important que les coordonnées du lieu où il se trouvait être. "
Cet essai parsemé de réflexions paradoxales et savoureuses (" Je ne dors pas longtemps, mais je dors vite ") insiste, dès sa couverture, sur l'humour et la décontraction du personnage d'Einstein. On lui taperait presque sur l'épaule, ce qui est peut-être créer une illusion de proximité. Que dissipent rapidement les passages consacrés à la théorie mathématique ou physique. Sur ce point le libraire n'est pas difficile à intimider, il est vrai.
On pourra continuer à voyager en compagnie d'Einstein avec le livre composé par Andrew Robinson. C'est un savant, un "génie "plus conventionnel, s'il se peut, qui se trouve ici approché à partir des archives Albert Einstein. Pour la couverture de ce livre, Einstein a dû remettre ses lunettes. Sa vie privée, ses rencontres dans
le monde scientifique, mais aussi les rapports entre sa théorie et l'énergie nucléaire, se trouvent abordés, parmi de nombreux documents d'époque.

Albert Einstein. Un siècle de relativité,
Place des Victoires, 256 pages, 25 €

mardi 20 décembre 2016

L'ours, sa maman et l'imagier

Tom Schamp, L'Imagier le plus fou du monde,
traduit du néerlandais par Carole Speroni,
Milan, 61 pages, 18 €
Un imagier nous dit le Dictionnaire culturel en langue française est un "recueil d'images. " Un " livre d'images pour des enfants ne sachant pas lire ".
Or personne n'obligeait Tom Schamp à serrer autant d'images sur la surface de son livre, même si les pages en sont d'un format relativement grand (27,5 cm x 33,5 cm). Monsieur Schamp ne pouvait pas ne pas penser qu'en agissant ainsi, il créerait un livre que l'on peut dire fou sans exagération. Peut-être même, comme il l'affirme lui-même, le plus fou du monde.  L'espace a presque complètement disparu, tant les objets de toutes sortes, de toutes couleurs, de tout volume sont serrés les uns contre les autres. Les objets et leurs noms, toute sortes de lettres, de panneaux, d'écritures pour donner un nom aux choses.
Dans le monde demeurent des zones moins chargées et plus tranquilles. Mon tout petit habite ce monde-là avec sa maman ourse. Qui est un gros animal. Qui occupe presque toute la page du livre. Mais l'espace existe encore. Il y a même des pages très vides. Avec deux poissons seulement qui sautent hors de l'eau.
Le libraire respire.
Jo Weaver, Mon tout-petit, traduit de l'anglais par Elisabeth Duval,
Kaléidoscope, 13 €


lundi 19 décembre 2016

Dans Paris avec Jules Romains

Une des éditions de Paris des Hommes
de bonne volonté
Si aujourd'hui l'on posait au libraire la question : " Existe-t-il un livre en langue française dont vous souhaitez la réédi-
tion ? ", sa réponse serait :
" Oui. (Le libraire est donc d'excellente humeur et optimiste quant à la place encore disponible sur son étal.) Ce serait un livre de Jules Romains, dont nous parlions il y a quelques jours.
Il s'intitule Paris des hommes de bonne volonté. "
L'ouvrage est singulier. Il fut publié en 1949 par Lise Jules Romains, la propre épouse de l'auteur. Il se compose de
" morceaux relatifs à Paris " extraits des 27 volumes des Hommes de bonne volonté. Avec l'assentiment de Jules Romains,
il fut organisé en sept parties, soit : Mouvements d'un grand visage ; Paris de travail de conquête et de crime ; le Paris des nouveaux-venus ; Tableaux et incidents ; Types parisiens ; Intérieurs et, enfin, sous-titre magnifique : Paris surnaturel et frémissant.
Les coupures qui ont dû être faites dans le texte ne le rendent nullement illisible dans la continuité. L'ensemble forme une impressionnante fresque née des pérégrinations urbaines de Jules Romains, piéton considérable.
Alors, qui pour le rééditer ?

Jules Romains, par Paul-Emile Becat,
devant un paysage parisien.

dimanche 18 décembre 2016

Matisse en son laboratoire

Henri Matisse. Le laboratoire intérieur, sous la direction
d'Isabelle Monod-Fontaine et de Sylvie Ramond,
Hazan/Musée des Beaux(Arts de Lyon, 384 pages, 44,95 €
Le libraire se rendra à Lyon, avant le 3 mars prochain, sans quoi il serait trop tard, pour visiter l'exposition Henri Matisse (1859-1864). C'est sûr.
Intitulée " Henri Matisse le laboratoire intérieur ", elle rassemble deux cents dessins, gravures, peintures et sculptures. " Blanc et noir ensemble produisent de la lumière. A la fin de la vie de Matisse, c'est une grande lumière chaude et sereine, ' toujours au moins aussi sereine qu'elle est écla-
tante ' a pu dire Pierre Reverdy, un bain de lumière qui évoque quelque
 ' royaume bienheureux ' ajoute Georges Duthuit. Matisse a mis toutes ses forces à l'atteindre, mais à partir de quelles ombres ? ", demandent les commissaires Isabelle Monod-Fontaine et Sylvie Ramond. Cette exposition, poursuivent-elles, " tente
de donner à voir et à comprendre non seulement l'écart entre les longues années d'apprentissage et l'aboutissement de la fin de sa vie, mais l'espace même du travail,
le questionnement perpétuel, les oscillations, les traces d'effort, et la musicalité du trait.
Le dessin comme laboratoire intime, comme exercice de liberté. "
C'est tout ce parcours créatif, du fauvisme du départ à l'avènement de la couleur pure et aux papiers découpés, que retracent les textes du catalogue qui accompagne l'exposition. Avec le dessin pour fil rouge.
Parallèlement reparaît, sous coffret et en fac-similé du n° 263 de l'édition originale de 1947, Les Fleurs du mal illustré par Matisse.
Aragon disait Matisse " hanté par Baudelaire ". D'où naquit ce recueil dans lequel abondent les visages féminins en miroir aux poèmes, dans une interprétation débarrassée de tout décadentisme, comme le souligne Stéphane Guégan dans ses commentaires de la présente édition. Belles ténébreuses, s'intitule tout de même ce précieux livret d'accompagnement critique.

Avec ses vêtements ondoyants et nacrés,
Même quand elle marche on croirait qu'elle danse

A la Page ouvre ses portes à 14 heures. Le libraire vous souhaite un bon dimanche !

Matisse Baudelaire, Les Fleurs du mal,
Hazan , 25 €