samedi 30 janvier 2016

Amoureux des livres, amoureux des vies

Philippe Claudel, De quelques
amoureux des livres, Finitude,
117 pages, 13,50 €
Qui connaît Virgile Maubert, Mounir Beyoglu, Norio Sahanori, Lothaire Bondissant ? Personne.
Personne car ce sont là quelques noms d'écrivains hypothétiques à la carrière avortée ou brisée, imaginés par Philippe Claudel et n'ayant vécu que dans son esprit. 
Sous le titre interminable et plaisant qui occupe la couverture entière de son livre  (la mode récente renoue avec une très vielle tradition littéraire du titre allongé par un sous titre sans fin) se cachent des biographies imaginaires n'excédant pas parfois quelques lignes. 
Défilent, parmi les plus brèves, les vies de " celui qui se croyait l'auteur du livre alors qu'il n'en était que le personnage "
et de " celui qui se persuada que pour devenir écrivain
il suffisait de le vouloir ".
Aux côtés du joli livre de Philippe Claudel,  pour ne pas dire au-dessus, le libraire a plaisir à placer celui de Michéa Jacobi, resté à peu près clandestin et que publient les éditions La Bibliothèque.
Xénophiles (le contraire de xénophobes) est son titre.
Il retrace les vies d'hommes célèbres ou non dans une maîtrise de la langue et une finesse d'expression qui ne court ni les journaux, ni non plus hélas, il faut le dire, nombre de livres entrés chez le libraire. Victor Segalen, le père Tanguy (soutien de Van Gogh et Cézanne) ou bien Jacques Yonnet, l'Auvergnat du Paris secret, reprennent vie à côté de 23 autres destins. Michéa Jacobi en promet 676 en tout. Chic !
Que les fantômes de Jorge Luis Borges et Marcel Schwob hantent les pages de Xénophiles n'est pas une petite grâce.

Michéa Jacobi, Xénophiles,
La Bibliothèque, 14 €



Le superflu est nécessaire

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Le libraire vient de recevoir la troisième édition (augmentée) du Dictionnaire superflu de la musique classique.
Les auteurs de cette œuvre indispensable, Pierre Brévignon et Olivier Philipponnat, se sont ingéniés à rassembler les thèmes en apparence les plus éloignés possible de la musique classique.
En vrac : les erreurs médicales (page 139) ; les escargots (sur la même page) ; les esquimaux (page 142) ; les pêches au sirop (page 323) et même Zinédine Zidane (page 480) et Zorro (sur la même page).
Or, chassez la musique classique par la porte, et elle rentrera par la fenêtre : c'est la brillante démonstration à laquelle se livrent les deux auteurs.
Le diable, le tintamarre, la pop musicJoseph Staline, Beethoven, les anciens ministres de l'éducation, tout conduit à la musique classique.
Exemple : " Dans Beethoven, certaines choses me semblent très belles, notamment dans la musique de chambre, mais il y a ce côté poum poum poum poum  qui, vraiment me déplaît ", a déclaré un jour Claude Allègre.
Même la choucroute a un rapport avec la musique classique : " Ce roboratif plat alsacien a son équivalent musical : l'œuvre de l'académique Vincent d'Indy, selon le critique Albert de Lassalle : sa musique ressemble à une portion de choucroute servie dans une assiette de vieille faïence de Rouen. "
Là est le tour de force, là est la drôlerie, là est l'érudition. Non, rien n'est plus nécessaire que le superflu.


vendredi 29 janvier 2016

Qu'il y a écran et écran

Louis-Sébastien Mercier,
Le Tableau de Paris,
La Découverte, 354 pages, 13,50 €
Le libraire lisait le gros livre de Louis Sébastien Mercier (1740-1814) Le Tableau de Paris (un chef-d'œuvre, autant le dire, paru en 1781), quand il découvrit la phrase suivante :
" Les libraires se croient des hommes de conséquence,
parce qu'ils ont l'esprit d'autrui dans leur boutique ".
Et pan sur le bec du libraire !
Puis, continuant sa lecture, il tomba sur ceci :
" Nos bons aïeux lisaient des romans en seize tomes,
et ils n'étaient pas encore trop longs pour leurs soirées.
Ils suivaient avec transport les mœurs, les vertus, les combats de l'antique chevalerie. Pour nous, bientôt nous ne lirons plus que sur des écrans. "
Comment ? Des écrans ? s'écria le libraire  Lire sur des écrans au XVIIIe siècle ?
Il manqua s'étouffer.
Puis, s'étant servi un petit remontant, il eut le réflexe de se reporter à l'appel de note qui figure au mot écran.

Et il découvrit cette explication : " Ecran : cloison ou éventail pour se protéger  de la chaleur d'un foyer. "
Comme quoi les notes peuvent être choses aussi utiles que réconfortantes dans un livre.

Louis-Sébastien Mercier

jeudi 28 janvier 2016

Langue française : il y a du taf


Affiche du Ministère de la Culture
et de la Communication
Du 12 au 20 mars 2016, les libraires de France sont conviés  à participer à la Semaine de la langue française et de la francophonie.
Le libraire se lèche les babines.
A vrai dire, il lui semble être de plain pied et à temps complet un animateur de la langue française et de la francophonie.
Seulement, pardon, il y a du taf !
Le libraire n'a de cesse de prévenir les éditeurs contre la mode, essentiellement anglophone, des titres non traduits et qui n'élèvent en rien le niveau des foules en anglais.
(Peut-être faudrait-il améliorer les contrats des traducteurs afin qu'ils traduisent les titres aussi. Ou bien apposer sur les couvertures la mention :  " traduit de l'anglais sauf le titre ". C'est une proposition. ) 
Pour le plaisir (for the fun), quelques exemples tout frais, relevés en rayon chez tous éditeurs :
Before, After, traduit de l'anglais
sauf le titre par
Alexia Barat Hugo

City on Fire, traduit de l'anglais
sauf le titre par
Elisabeth Peellaert

Someone, traduit de l'anglais
(Etats-Unis) sauf le titre par
Cécile Arnaud


Bohemian Flats, traduit de l'anglais
(Etats-Unis) sauf le titre par
Marc Auligny

Wonder lover, traduit de l'anglais
(Australie) sauf le titre par
Patricia Barbe-Girault

mercredi 27 janvier 2016

Dans les pas de Pasolini

Piero Spila, Pier Paolo Pasolini. Ses films.
Guide critique pour les nouveaux spectateurs.
Gremese, 158 pages, 19,50 €
Le quarantième anniversaire de la mort de Pasolini ( 1922-1975) a suscité de nombreuses publications.
Parmi celles-ci, le librairie en a choisi deux. Un livre du critique de cinéma italien Piero Spila, d'abord. Fort utile pour reconstituer la filmographie de Pasolini, depuis Accattone, en 1960, jusqu'à Salo, en 1975, ce guide vise surtout (et parvient) à présenter Pasolini à de nouvelles générations de spectateurs. Chacun de ses chapitres forme un mini-essai et une mise en perspective, revisitant les principaux thèmes du cinéaste. On pourrait conclure sur cette idée : Pasolini notre contemporain.
L'autre livre est signé Pierre Adrian, un jeune homme parti à l'âge de 23 ans sur les traces de l'écrivain et poète que fut aussi Pasolini.  Après avoir refait le parcours de la vie du frioulan, devenu romain, il conclut sur cette autre idée : " J'ai trouvé chez cet homme tué il y a quarante ans beaucoup des règles de vie que j'attendais d'un intellectuel d'aujourd'hui ".
Pierre Adrian, La Piste Pasolini,
Les Equateurs, 192 pages, 14 €


mardi 26 janvier 2016

Peintres et poètes

Nasser Assar, Editions Manucius,
175 pages, 28 €
Une grande complicité lie certains peintres à certains poètes. C'est le moins que l'on puisse dire à propos de Nasser Assar (1928-2011), artiste français né à Téhéran.
Quoique peintre discret (" il a souffert de sa discrétion " peut-on lire sur la quatrième couverture du livre qui vient de lui être consacré), tout un cercle d'amis de qualité, aussi discrets que lui, l'entoure dans cet ouvrage.
" Il est bon, dit Jean-Paul Avice, que des poètes aient parfois besoin des peintres qui peuvent avec juste des couleurs sur une feuille ou une toile aller plus vite et plus droit qu'eux à une plénitude que les mots de la poésie n'atteignent parfois qu'obliquement tant il leur faut de temps et de peine pour se dégager des pesanteurs du langage. "
L'œuvre de Nasser Assar a traversé plusieurs périodes, mais nombre de celles qui sont reproduites ici, huiles ou aquarelles, sont liées à la nature. Par exemple, " une falaise (peut-être de safre) sur laquelle avaient poussé quelques arbres, ou arbustes, c'est-à-dire d'abord un peu de vert sur fond de sable plus ou moins clair ; des feuillages qu'il appréciait tout particulièrement l'automne venu, montrent alors des éclats de jaune et de rouge, comme s'il avait retrouvé là des reflets de son Orient natal, à peine quelques touches peintes sur cette espèce de rempart de la falaise. "Les complices du peintre se nomment ici Yves Bonnefoy, Philippe Jaccottet, Roger Munier, Jean-Paul Avice, Jérôme Thélot, Alain Madeleine-Perdrillat.

Sans titre, huile, 1968

lundi 25 janvier 2016

Un collègue méconnu de Saint Exupéry

Roland Garros, Mémoires,  suivi de Journal de
guerre, préface de  Philippe Forest,
Phébus, 445 pages, 23 €
Avant d'être un célèbre terrain de tennis, Roland Garros (Eugène Adrien Roland Georges Garros, pour être précis) fut un aviateur et, donc, un casse-cou. Il naquit en 1888 et mourut, dans un combat d'avion, en 1918. Avant de se faire dézinguer, il fut le premier à traverser la Méditerranée à bord d'un objet volant de bois et de toile. Puis, il a laissé un Journal de guerre et des Mémoires publiés conjointement aujourd'hui par les éditions Phébus.
Blaise Cendrars avait attiré l'attention sur ces écrits, dactylographiés à cinq exemplaires par leur auteur, note Philippe Forest dans sa préface.
Jamais en veine d'appréciations hyperboliques, 
Cendrars avait déclaré : " Le Journal de Garros est le document le plus extraordinaire, et le plus pittoresque et le plus vivant que l'on puisse lire sur les débuts de l'aviation en France et à travers les monde. "
Le tapuscrit fut retrouvé au musée de l'air du Bourget. Le voici proposé aux lecteurs, qui découvriront un collègue peu connu de Saint-Exupéry, à la fois pilote et poète.
Pour la petite histoire signalons le passage de Roland Garros à Vichy, le 17 septembre 1912 exactement. La preuve ? Une photographie, reproduite dans le livre, le montre aux côtés de Joseph Aletti et d'Edmond Audemars, un ami suisse.*

 


* Sur l'aviation à Vichy, signalons le livre de Monique Blanquet-Léger, Un siècle d'aviation à Vichy de 1909 à nos jours.






dimanche 24 janvier 2016

En attendant le Prix des Lecteurs A la Page

Olivier Bourdeaut,
En attendant Bojangles,
Finitudes, 159 pages, 15,50 €
Voilà ce qui s'appelle se faire couper l'herbe sous le pied ! Mais il y a une règle d'airain dans la sélection du Prix des Lecteurs A la Page (la liste sera rendue publique au mois de mars prochain) : les romans et leurs auteurs ne doivent pas avoir fait l'objet d'une couverture médiatique importante.
C'est écrit dans les statuts.
Articles, plateaux de télévision, présence sur une liste
de prix... et notre choix se porte illico sur d'autres lauréats potentiels !
Cela arrive chaque année, et vient de se produire pour le roman d'Olivier Bourdeaut, En attendant Bojangles, aux éditions Finitude. Tout indiquait qu'il serait le premier sélectionné pour notre prix 2016. Or, voici quelques extraits de presse (dont nous nous réjouissons, il va sans dire, pour le romancier) :

Retenez bien le nom de cet inconnu : Olivier Bourdeaut. A 35 ans, il sera bientôt fameux et son premier roman va faire un tabac. […] Dans une prose chantante, il fait sourire les larmes et pleurer l’allégresse. Il mérite le succès qui va fondre sur cette fable extravagante et bouleversante.
Jérôme Garcin, L’Obs.
Dans ce roman, la fantaisie règne en maître. L’auteur nous plonge dans un capharnaüm joyeux et plein d’esprit, où l’on se délecte.
Sandrine Mariette, Elle.
C’est le pari de LIRE en cette rentrée: un premier roman friandise, gai comme un jour de fête, doux comme un bon bain chaud. Pour l’ambiance littéraire, imaginez Jacques Prévert, Raymond Queneau et Roald Dahl se dandinant autour du pianocktail de Boris Vian.
Estelle Lenartowicz, LIRE.
Voici un premier roman qui m’a emballé: c’est extravagant, c’est léger, c’est pétillant. Un coup de maître.
François Busnel, La Grande Librairie (France 5).
Les bons sentiments font parfois les bons livres, et c’est le cas de cette histoire drôle, inventive et touchante, dont le ton malin et personnel séduit à chaque page.
Baptiste Liger, Technikart.
 
Alors, pour la route, le libraire vous offre la chanson de Nina Simone qui donne son titre au roman : Mr Bojangles.