samedi 12 août 2017

Sur la beauté de la montagne

Marco Troussier, Pourquoi nous aimons gravir les
montagnes, Les Editions du Mont-Blanc,
224 pages, 17,90 €
Qu'on se le dise : le librairie a le vertige. L'escalade en haute montagne n'est donc pas faite pour lui. Mais dans le livre de Marco Troussier il y a, évidemment, la montagne et la littérature. Les sommets et l'imagination des sommets. Le réel et le rêve. Ce qui change tout, même si quelques esprits (évidemment mal tournés) vont traiter le libraire d'alpiniste de salon. La balle est dans le camp du style, de la langue, de l'agrément d'une écriture capables de transporter le lecteur.
Or Marco Troussier connaît parfaitement la valeur et la résonance des mots en général, et des mots affectés à la montagne en particulier. "
Le mot Dolomites, évoque raideur, exposition, virtuosité, dit il. Face nord fait souffler un vent glacial qui remonte des parois sombres et des couloirs majestueux qui se terminent parfois en flèches effilées. Granit est indissociablement lié à des lignes fuyantes à des tours incroyables, à des barrières austères que l'on imagine
à peine gravir. "
Et plus loin, sous l'entré du mot " Rêve " et à propos de la vallée magique du Yosemite : " Je me sentais comme un personnage de roman "à la Murakami", qui franchit le mur du réel pour habiter des espaces inconnus et passe ces frontières sans en avoir conscience. "
Il faudrait donc tenir compte de la puissance des mots dans l'histoire de l'alpinisme, ou de certains alpinistes, tout du moins.
Le livre de Marco Troussier est en outre illustré de magnifiques photographies et gravures qui ont leur personnalité propre et n'ont pas été vues un partout. Le noir et blanc de la typographie, des illustrations, de la neige et du roc vont bien ensemble.
Franz Schrader (1844-1924) n'aurait sans doute pas dit autre chose. Son titre, d'une simplicité éloquente, rappelle celui du livre de Troussier. Pyrénéiste, géographe et dessinateur de première, Schrader prononça son discours A quoi tient la beauté de la montagne au club Alpin en 1897. " C'est évidemment à mi-hauteur de la zone neigeuse,  entre les plus hautes vallées et les plus hautes cimes, au milieu des grands champs de blancheur que l'on trouve le plus haut degré de beauté ", affirme Franz Schrader, le neveu d'Elisée Reclus.
Voilà qui rassure un peu le libraire sujet au vertige.
Franz Schrader, A quoi tient la beauté
des montagnes, Isolato,
50 pages, 12 €

vendredi 11 août 2017

Grandeur de l'arbre

Thich Nhat Hanh, La Terre est ma Demeure,
traduit de l'anglais par Stéphanie Chaut, Belfond,
248 pages, 15 €
" Au Village des Pruniers, nous avons un beau tilleul qui offre chaque été beaucoup d'ombre et de joie à des centaines de visiteurs. Un jour, au cours d'une grosse tempête, il perdit de nombreuses branches et faillit mourir. Quand je vis le tilleul après la tempête, j'eux envie de pleurer. J'éprouvais le besoin de toucher son tronc, mais cela me faisait mal parce que je pouvais sentir que l'arbre souffrait. Je résolus donc de trouver des moyens de l'aider. Heureusement, un de mes amis était médecin des arbres. Il soigna si bien le tilleul que celui-ci fut ensuite encore plus fort et plus beau qu'autrefois. Notre centre ne serait pas le même sans cet arbre? Chaque fois que j'en ai l'occasion, je touche son écorce et j'entre en contact profond avec lui.
Les arbres sont comme nos grands frères et grandes sœurs. Nous devons prendre soin d'eux et les traiter avec beaucoup de respect. Soyez aussi loyaux avec eux que vous le seriez avec les membres de votre famille et vos amis les plus proches. "

                                                 
                                              Thich Nhat Hanh

Les arbres valent un gros succès de librairie au livre de Peter Wohlleben, La Vie secrète des arbres. Au prix de quelques familiarités inutiles avec le règne végétal  (" Les forêts ressemblent à des communautés humaines. Les parents vivent avec leurs enfants, et les aident à grandir... "), le lecteur y glanera de nombreuses informations propres à agrémenter leurs promenades sylvestres que le libraire lui souhaite nombreuses.
Peter Wohlleben, La Vie secrète des arbres,
traduit de l'allemand par Corinne Tresca,
Les Arènes, 262 pages, 20,90 €

jeudi 10 août 2017

La Fontaine et la fin de l'Histoire


Erik Orsenna, La Fontaine une école
buissonnière, Stock,/France Inter,
210 pages, 17 €
Après nous avoir entretenu de la fable du moustique mondialisé (voir le billet du six août dernier), Erik Orsenna nous narre l'histoire du fabuliste français le plus célèbre, sinon le plus connu : Monsieur Jean de La Fontaine.
En quarante deux courts chapitres, plus un choix de fables in fine, une partie du XVIIe siècle d'or vous est conté. Château-Thierry (sa ville natale), les sieurs Boileau, Molière, Racine et, souverain, le Roi Soleil, la légende française des salles de classe d'autrefois se déploie. La voix de l'auteur est gentille, gentillette même : " Il est des livres qui sont des bateaux. Ou, si vous préférez, des grands frères... " Voilà qui est fait pour rassurer le lecteur. De plus, la voix de l'auteur a bercé les auditeurs d'une célèbre chaîne de radio dans une série d'émissions consacrées à La Fontaine, cet été. Ce sont les textes de ces émissions qui composent La Fontaine une école buissonnière.
Mécaniques du chaos (pas tout à fait "Apocalypse ", mais on s'en approche) est le titre du prochain roman de Daniel Rondeau, un roman de rentrée. Ukraine, Tripoli, chaîne d'infos, barres de fer, ambassade américaine, projet français, terrorisme, argent sale ... : la fiction dépasse difficilement les pages  des journaux et des écrans. Le lecteur n'est pas dépaysé. Il n'est pas dépassé. Il a la culture qu'on lui sert tous les jours. Mécaniques du chaos, nous dit l'éditeur, nous " emporte dans le mouvement d'une histoire qui ne s'arrête jamais. " Le libraire plaide pour une petite pause quand même.
Daniel Rondeau, Mécaniques du chaos,
Grasset, 460 pages, 22,00 €

mercredi 9 août 2017

Le temps chinois

Christine Cayol,
Pourquoi les Chinois ont-ils le temps ?
Tallandier, 284 pages, 18,90 €
" Pourquoi les Chinois ont-ils le temps ?". C'est une bonne question à se poser de notre côté du monde.  Déjà Lin Yutang remarquait, il y a quatre-vingts ans que " les Américains en sont maintenant arrivés à un si triste état, que non seulement ils inscrivent leur emploi du temps pour le jour suivant, ou la semaine suivante, mais pour le mois suivant. Un rendez-vous dans trois semaines est une chose inconnue en Chine. "
"Les Chinois qui pratiquent la méditation ou les arts martiaux, renchérit aujourd'hui Christine Cayol, n'expriment pas ce besoin frénétique que nous avons d'explications et de modes d'emploi. (...) le temps spirituel des Chinois n'est pas plus conceptuel que personnel, il invite à suivre un rythme naturel qui ne nous appartient pas, même s'il entre en résonnance avec nos énergies. C'est un temps de l'eau, de la montagne et du ciel, pas un temps " pour ", pas un temps personnel. "
Ce qui n'empêche que même les Chinois sont désormais contaminés par la maladie du temps, comme dit si bien Christine Cayol. " Des millions de Chinoises dont le pouvoir d'achat ne cesse d'augmenter se ruent sur la chirurgie esthétique pour lutter contre la détérioration de leur image. (...) La majorité des Chinois, hommes et femmes, cachent leurs cheveux blancs et semblent obsédés par l'idée de rattraper un retard collectif dans la course au développement. "
Que dit de tout cela l'ami Wang Wei, l'ami tang du VIIIe siècle, une valeur sûre  ?

Le haut sommet récrit les constellations ;
Les vallées redécouvrent la lumière.
Il me faudrait un gîte pour la nuit :
Par-delà le torrent, demandons au bûcheron.

Patrick Carré, Zéno Bianu, Poésie chinoise de
l'éveil, Spiritualités vivantes,
280 pages, 8,90 €

mardi 8 août 2017

Leçons du désert. Intérieur et extérieur

Santiago Pajares, Imaginer la pluie,
traduit de l'espagnol par Claude Bleton,
Actes Sud, 296 pages, 21 €
Il s'appelle Ionah. Ce qui signifie " colombe ". Il est un enfant du désert. Quand le monde a fait place à un désert. Et Ionnah vit là, hors du temps et de l'espace, avec sa mère. Elle est longtemps sa seule compagnie dans l'existence, chargée d'enseigner à son petit prince comment se défendre ; comment se nourrir ; comment s'abriter ;  comment extraire l'eau d'un puits de quatorze mètres de profondeur. Et ne pas entretenir en lui de vaines nostalgies. Mais nostalgies de quoi, puisque Ionnah n'a jamais connu d'autre milieu que le désert ni d'autre compagnie que celle de sa mère ? Nostalgie, peut-être, des instruments  avec lesquels, dans le monde précédent, " on pouvait créer des musiques, si belles qu'elles nous transportaient ailleurs sans changer de place ". Ou nostalgie " des gens  qui écrivaient sur du papier des histoires qui n'étaient arrivées que dans leur tête, un moyen pour eux de les par-
tager. "  Mais certainement pas nostalgie d'un lieu où les hommes n'avaient de cesse de s'entre-déchirer.
Cependant, jusque dans le désert le plus désert, les choses changent. Ionnah, la colombe, le petit prince, grandit et Mère, la sévère éducatrice,  vieillit. Qui sait si la pluie ne viendra pas et un compagnon, et d'autres nouveautés, dont Ionnah aura appris à juger, au cours de son implacable apprentissage dans le désert, de la pertinence et de la véritable valeur.
On retrouve le désert, et sa portée symbolique, dans un magnifique essai de Salah Stétié, sous le titre de Lapidaires verdoyants. " Il y a incontestablement une dialectique du désert et du verdoiement ", écrit le poète d'origine libanaise.  " Il y a des hommes, il y a des peuples du désert, comme il y a des hommes  et des peuples de la profondeur verte. Je dirai que l'appartenance géographique, que la localisation temporelle,  ne sont que circonstances et que passages, face à l'implantation fondamentale  qui est, essentiellement, de nature spirituelle. "
Attachement et détachement sont les véritables enjeux du désert.

Salah Stétié, Lapidaires verdoyants,
Fata Morgana, 212 pages, 24 €

lundi 7 août 2017

Emily Dickinson, enfin au complet

Emily Dickinson, Poésies complètes,
traduit de l'américain par Françoise Delphy,
Flammarion, 1468 pages, 35 €
Je suis la petite " Pensée Sauvage " !
Je n'aime pas les ciels boudeurs !
Si le papillon traîne
Vais-je pour autant me tenir à l'écart ?

Si le Bourdon Pleutre
Reste au coin du feu,
Moi, je dois être plus résolue !
Qui transmettra mes excuses ?

Chère -- petite fleur, Surannée !
L'Eden, lui, aussi est suranné !
Les Oiseaux sont des compères désuets !
Le Paradis ne change pas son bleu.
Et moi non plus, petite Pensée Sauvage --
Personne ne me convaincra de le faire !

Ou encore, prémonitoire :
Pour faire une prairie prenez un trèfle et une seule abeille,
Un seul trèfle et une abeille,
Et la rêverie. La rêverie seule suffira,
Si on manque d'abeilles.

Emily Dickinson (1830-1886) 

dimanche 6 août 2017

Jean-Henri Fabre et les moustiques mondialisés

Jean-Henri Fabre, Portraits d'insectes,
présenté par Philippe Galapoulinos,
dessins de Pierre Zanzucchi,
Le Castor Astral, 166 pages, 14 €
Vos valises sont bouclées ? Comme c'est dommage, vous auriez pu emporter sur les chemins pleins d'ombre, de noisettes et ... d'insectes quelques bonnes pages de Jean-Henri Fabre (1823-1915), l'entomologiste français par excellence. Non que mantes, fourmis noires et autres cigales soient spécifiques du sol gaulois. Mais parce que Fabre est un classique de la langue française, ce que, peut-être, on ne souligne pas assez. Sans doute, scientifiquement parlant, manque-t-il désormais quelques plumes (ou élytres) à son chapeau (encore que : son insistance à enquêter sur le terrain plutôt qu'en laboratoire plaiderait plutôt en sa faveur). Mais quelle verve, quel œil, quelle langue ! A faire vieillir le galimatias de maintes communications savantes !
Pour s'en convaincre, rendez-vous auprès du petit volume (petit par la taille) composé sous le titre de Portraits d'insectes et présenté par Philippe Galanopoulos.
Peut-être trouverez-vous dans votre besace une place pour les insectes de Fabre ? Organisez-vous un peu !
Eric Orsenna, lui, conforté par Isabelle de Saint Aubin, s'est penché sur le cas d'un insecte d'hier (le bougre est âgé de 250 millions d'années) et d'aujourd'hui, hélas : le moustique. Dans tous ses états et tous ses espaces. La bête, dont le poids est inversement proportionnel à sa capacité de nuisance, fait 750 000 morts par an. De quoi attraper des fièvres, comme le dit Orsenna. De quoi aussi chercher les bons remèdes, qui ne ressemblent pas forcément aux manipulations génétiques. Outre ces livres, n'oubliez pas de lester votre musette des pommades indispensables en cette saison ; accompagnez-les d'une moustiquaire en état de marche.
Erik Orsenna, Isabelle de Saint Aubin,
Géopolitique du moustique, Fayard,
280 pages, 19 €