samedi 30 avril 2016

Athlètes au féminin


Carrie Snyder, Invisible sous la lumière,
traduit de l'anglais (Canada) par
Karine Larechère, 353 pages, 22,50
 
La bonne littérature sur le sport n'est pas monnaie courante ; sur l'athlétisme, moins encore, depuis Henry de Montherlant, décédé il y a plus de quarante ans : " Tout de suite je tombai amoureux
de la cendrée. C'est-à-dire de la piste en mâchefer..."
Mais de bons romans sur l'athlétisme féminin, qui en connaît ?
La Canadienne anglophone Carrie Snyder (à ne pas confondre avec Gary Snyder, le poète de la nature américain) a relevé le défi dans Invisible sous la lumière.
Son héroïne, Aganetha Smart, connut la gloire le jour où elle participa aux Jeux Olympiques d'Amsterdam en 1928, les premiers  a accepter la participation d'athlètes féminines.
C'est le souvenir de sa médaille d'or qui l'anime, alors qu'elle est désormais âgée de cent quatre ans et clouée dans un fauteuil roulant.
Deux inconnus viendront la sortir de sa maison de retraite pour l'interroger sur son passé fait de multiples combats et ranimer sa passion de la course.
Carrie Snyder a mené des recherches pour documenter son roman et pénétrer dans les coulisses de l'olympisme où la lumière n'est entrée que tardivement pour les athlètes de sexe féminin.
L'anthropologue Anne Saouter ne dit certainement pas le contraire dans son essai sur la compétition sportive, la " féminité normée " et le modèle masculin qui la dominent.
Pourtant, un bon match de football féminin suffit à faire tomber toutes les préventions chez n'importe quel spectateur de bonne foi.
Anne Saouter, Des femmes et
du sport, Payot, 207 pages, 18 €







  
 

vendredi 29 avril 2016

Avoir vingt ans

Joëlle Tiano, George Sand a vingt ans.
S'affranchir, Au diable vauvert,
167 pages, 12,50 €
La collection " A vingt ans " des éditions Au diable vauvert (Vauvert, où est sise cette maison, est une commune du Gard), se propose d'interroger les vies d'auteurs célèbres à une période cruciale de leur existence. Si l'idée de " célébrité " présente visiblement quelque difficulté non surmontée (Marylin Monroe, Johnny Halliday et
JF Kennedy s'insinuant dans un catalogue où figurent Louis-Ferdinand Céline, Jean-Jacques Rousseau et Marcel Proust), vingt ans est certainement un bel âge pour une biographie. Un âge aussi auquel peuvent mieux s'identifier les jeunes lecteurs
Pour obtenir ce résultat, le principe est donc simple : reconstituer les années de formation  des " auteurs quand ils sont encore en fragilité et ne sont pas devenus des monstres sacrés ", selon l'expression du directeur de collection, Louis-Paul Astraud. Les narrer sans chichi ni effets de style, dans des phrases rédigées au présent et ne s'écartant pas trop du vocabulaire actuel (ainsi Charlotte Brontë  " accepte-t-elle un emploi " et George Sand " sait-elle la part de son état moral dans ses symptômes physiques ").

La collection " A vingt ans " compte 17 titres. Outre les monstres sacrés déjà cités, on y croise Boris Vian, Camus, Balzac, Nelson Madela ou encore Jean Genet. Les deux derniers monstres accueillis sont George Sand et les sœurs Brontë.

Stéphane Labbe, Les sœurs Brontë.
Au nom du père, du frère et de l'esprit,
Au diable vauvert, 165 pages, 12,50 €

jeudi 28 avril 2016

Nouvelles de Grèce

Chrìstos Ikonòmou
Ça va aller, tu vas voir, traduit du
grec par Michel Volkovitch,
Quidam, 224 pages, 20 €
Les seize nouvelles qui composent Ça va aller, tu vas voir dessinent un portrait de la Grèce en crise qui vaut mille commentaires par les plus experts des économistes et des sociologues.
Ecrites pour les Grecs avant même, pour certaines, que la crise n'atteigne son apogée, elles nous plongent dans " la peur silencieuse et l'angoisse cachée de la journée qui venait et de toutes les journées qui la suivraient. "
Le regard est dur, l'écriture coupante, pour dire les effets de la pauvreté, de la maladie et du désarroi sur jeunes et moins jeunes dans une Grèce " venteuse et sans soleil " à l'image des consciences gelées et muettes.
" Je ne suis pas un observateur de la crise actuelle. Je suis un sujet de la crise, un symptôme de la crise ", a déclaré Chrìstos Ikonòmou au magazine Le Matricule des anges.
Dans une production littéraire sans urgence, toute la différence est là pour un recueil dont la portée dépasse assurément l'actualité immédiate et les frontières du pays qui l'a inspiré.





 



mercredi 27 avril 2016

Procès des choses

Charles Haquet, Bernard Lalanne,
Procès du grille-pain et autres objets qui
nous tapent sur les nerfs, Folio,
204 pages, 7,10 €
Georges Pérec l'avait bien dit : " Il y eut la lessive,
le linge qui sèche, le repassage. Le gaz, l'électricité, le téléphone. Les enfants. Les vêtements et les sous-vêtements. La moutarde. Les soupes en sachets, les soupes en boîtes. Les cheveux : comment les laver, comment les teindre, comment les faire tenir, comment les faire briller. Les étudiants, les ongles, les sirops pour la toux, les machines à écrire, les engrais, les tracteurs, les loisirs, les cadeaux, la papèterie, le blanc...", écrit-il dans Les Choses.
Ce n'est pas pour autant que la vie quotidienne et les objets sont restés tranquilles depuis ce temps. Pire : certains objets y ont mis du leur pour nous rendre la vie quotidienne encore plus quotidienne.
De ce point de vue,  il faut louer Charles Haquet et Bernard Lalanne, les auteurs de l'inoubliable Procès du grille-pain et autres objets qui nous tapent sur les nerfs, d'avoir su venger le plus large public des méfaits de la notice Ikea, des chaînes à neige, de la télécommande, du composteur à billets (qu'il faut retourner incessamment avant le compostage...), de la théière qui fait pipi. Sans parler de la housse de couette.
Extrait : " Les uns retournent la couette comme une chaussette et la déroulent afin qu'elle se retrouve à l'endroit sur la couette, les autres grimpent sur le lit et secouent l'ensemble au risque de tasser le garnissage d'un seul côté, ceux qui ont la chance de posséder une mezzanine y montent et s'aident de la balustrade. Un sondage réalisé en Grande-Bretagne montre que 46% des personnes interrogées utiliseraient cette méthode.
Pour atteindre les coins, certains poussent le courage jusqu'à s'introduire entièrement dans la housse suivant la technique du furet. (...) Mieux vaut ne pas agir seul : pendant que l'un explore les profondeurs, l'autre reste en surface et peut donner l'alerte en cas d'imprévu. "


mardi 26 avril 2016

Rendez-vous dans l'île avec Frédéric Vitoux


Fré&déric Vitoux, Au rendez-vous
des mariniers, Fayard,
306 pages, 20 €
Les petits enfants gardent des lieux où ils ont grandi
des images à la fois profondes et insaisissables. C'est le plus
 grand charme, et mystérieux, de nos souvenirs.
Frédéric Vitoux entretient avec le quai d'Anjou, qui longe
la Seine à Paris, ce rapport troublant. Il est
passé des centaines de fois (" au bas mot ") devant le bistrot-restaurant qui s'appelait " Au rendez-vous des Mariniers " sans
véritablement le regarder. Mais ce lieu,
au nom qui fait rêver, s'inscrivait au plus intime de lui-même.
Et qui, croyez-vous, fréquenta ce rendez-vous ?
Les habitants du quartier, pour sûr. Les mariniers
et les blanchisseuses qui œuvraient sur les bateaux-
lavoirs dans le voisinage. Mais aussi quelques hôtes promis
à la postérité nommés Picasso, John Dos Passos,
Hemingway ("Dos" et "Hem"), Simenon,
Louis-Ferdinand Destouches, dit Céline...
En refaisant le chemin de son enfance,
Frédéric Vitoux nous introduit auprès de ses chers 
fantômes dans une enquête minutieuse dictée par
la sensibilité et la mélancolie.
Un autre arpenteur de l'île et de la rive gauche fut Jacques Yonnet.
Sa Rue des Maléfices, qu'admirait Raymond Queneau, tient la chronique d'un Paris souterrain et merveilleux qui a fait les délices du libraire envoûté. Il est disponible chez Libretto.
A bon entendeur... 
Jacques Yonnet, Rue des Maléfices,
Libretto, 320 pages, 9,70 €
 

lundi 25 avril 2016

Dans la maison de Lao She

Lao She, Ecrits de la maison des rats,
traduit du chinois par Claude Payen,
Picquier poche, 160 pages, 6,50 €
 " Question : ' Quel est l'article le plus difficile à écrire ? '
Réponse : Celui qu'on n'a pas envie d'écrire. Par exemple : mon voisin, Deuxième Grand Maître est mort à soixante-dix ans de mort naturelle.  Toute sa vie, il a mangé, s'est habillé et a bu quelques verres d'alcool comme tout un chacun. Il n'a jamais rien fait ni rien écrit de remarquable. Dans sa jeunesse, il ne se distinguait pas de ses pairs et, devenu vieux, il n'était en rien différent des autres vieillards. Je ne peux rien ajouter sinon qu'il a été toute sa vie un citoyen exemplaire. Hélas, le malheur de l'écrivain m'est tombé sur la tête ! Son fils, diplômé de l'université, fonctionnaire dans un service administratif de surcroît, m'a annoncé la mort de son père et m'a commandé un éloge funèbre. J'avais deux phrases toutes prêtes, utilisables en pareil cas : ' tu es mort, nous te reverrons plus. Mon cœur saigne rien que d'y penser. ' Malheureusement, je ne peux pas les présenter au jeune maître fonctionnaire administratif qui pensera probablement que je veux humilier le défunt. Je dois absolument trouver autre chose. Comme je vais rencontrer tous les jours le jeune maître, fonctionnaire dans un service administratif, qui est mon proche voisin, si je décide de ne pas exécuter sa commande, il ne me le pardonnera jamais. Alors, Dieu du Ciel, que puis-je écrire ? "
Ce paragraphe rempli d'humour et d'autodérision est bien dans la veine de l'écrivain chinois Lao She (1899-1966), l'auteur de Gens de Pékin et de Quatre générations sous un même toit.
Publiés entre 1934 et 1959, ses Ecrits de la maison des rats dont il est extrait et qui viennent de paraître en poche sont un modèle de journalisme littéraire et d'autobiographie rédigée au jour le jour. Toutes langues et toutes cultures confondues. Le libraire kiffe.

Lao She, Gens de Pékin,
Folio, 333 pages, 8,20 €

dimanche 24 avril 2016

Clefs magiques

Jean-Léonard de Meuron, Frédérique Le Lous Delpech,
Clefs magiques. Haïkus, Editions courtes et longues, 24 pages, 22 €
Pour les lecteurs de sept à neuf ans et leurs parents, ceci est un délicat recueil qui allie les mots, les illustrations et les découpages.
Les mots en vers brefs assemblés
à partir d'objets ou de sentiments quotidiens, comme :

Ballon
Il s'envole
Avec ma chaussure
Et marque

Ou bien :
 
Baisers
Elle pose ses lunettes
Et sur ma joue prête
Son amour

Les illustrations sur un fond ivoire et dans des tonalités douces.
Les découpages comme autant de fenêtres ouvertes sur des rêves tendres.
Et le livre tout entier formant une frise qui se range dans bel étui. Une réussite.