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Ivan Jablonka, Laetitia, Seuil,
330 pages, 21,50 € |
" La réalité aurait-elle plus de talent que la littérature? On est en droit de se poser la question face au déferlement de romans «inspirés d'un fait divers» qui ne cessent de paraître. Certes, sans remonter à Flaubert et Stendhal, le phénomène n'est pas nouveau. Mais il est clair qu'il connaît une accélération. Pas de rentrée littéraire sans un récit romancé qui tire son intrigue d'une actualité passée. Parfois, le fait divers n'a même pas quitté la une des journaux ou les écrans des chaînes d'information en continu qu'il fait l'objet d'un livre ", pouvait-on lire dans le journal Le Figaro en 2014.
Laetitia, ou Chanson douce, le dernier prix Goncourt, voire Tropique de la violence de Natacha Appanah, entretiennent plus d'une ressemblance avec le phénomène décrit par Le Figaro. Ils montrent une porosité, plus ou moins nette (et plus ou moins talentueuse) entre le récit " brut " fait dans les médias et l'interprétation romancée que propose la fiction, depuis Emmanuel Carrère jusqu'à Régis Jauffret, en passant par Jean-Luc Seigle.
L'ouvrage que viennent de publier Amélie Chabrier et Marie-Eve Thérenty, Détective, fabrique de crimes ? permet de mettre en perspective ce qui relève peut-être autant d'une fascination (inconsciente ? collective ? inavouée ?) pour l'horreur que d'une simple mode parcourant les cercles littéraires. Georges Bataille, parmi d'autres, et pour ne pas remonter plus haut que le XXe siècle, en avait repéré l'existence, que l'on retrouve évidemment dans le roman policier et ses héros psychopathes.
On se souvient que Détective était un hebdomadaire, lancé par Gallimard en 1928 et qui cessa sa parution en 1940, entièrement consacré au fait divers et au crime. Ce magazine " s'est tout entier bâti autour du fait divers, conçu comme un instrument essentiel pour appréhender la société : ' le fait divers, c'est la vie, écrit Luc Dornain, la vie descendue des théories et de l'absolu, la vie saignante, douloureuse, l'éternelle leçon. ' " Détective rencontra un énorme succès de vente. Il s'assura les services de romanciers de l'époque, comme Kessel, Carco et Mac Orlan.
"Un charme d'enfer ", c'est par ces mots qu'Amélie Chabrier et Marie-Eve Thérenty caractérisent l'attrait sur nous du fait divers. Elles précisent : " si l'intérêt pour le fait divers est indéniable, il reste difficile à expliquer rationnellement et surtout moralement, d'où l'usage d'un lexique de la déresponsabilisation. Le fait divers agit, exerce sa magie sur l'homme, celui-ci est subjugué, passif, donc innocent. (...) En suscitant au quotidien des émotions fortes (...), en exhibant la face sombre de l'homme, il servirait de liant social. "
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Amélie Chabrier et Marie-Eve Thérenty,
Détective, fabrique de crimes ?,
Joseph K., 190 pages, 24 €
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