samedi 21 janvier 2017

La meilleure première page de la semaine : Cingria

Charles-Albert Cingria,
Le Carnet du chat sauvage, Fata Morgana,
48 pages, 12 €
Si l'on devait élire l'auteur de la meilleure première page publiée cette semaine, le libraire voterait sans hésiter pour... Charles Albert Cingria (il est né en 1883 à Genève et mort dans la même charmante ville en 1954) pour la première page de Le Carnet du chat sauvage. La voici sans plus attendre :
" Est-il besoin de vous dire que ce qui me rendait si visiblement anxieux, ainsi tapi dans l'herbe, c'était cette impunité parfaite de trop d'oiseaux grassouillets sur les hautes branches de ces superbes verdures. Et je les eusse volontiers pulvérisés s'il n'eût fallu au préalable me livrer à une gymnastique qui était aussi indigne de ma nature que contraire à mes résolutions. J'avais depuis longtemps décidé de ne plus monter aux arbres. En effet, d'abord, à quoi est-ce que cela sert ? A prouver que vous pouvez aller aussi qu'eux. Cependant, quand vous y êtes, ils n'y sont plus. Où sont-ils ? Vous les faites taire évidemment, puisque la solitude que votre présence implique institue le silence. Mais ils n'en recommencent pas moins d'autant plus fort ailleurs. "
Ce chat qui écrit à la première personne a beaucoup d'humour (qu'attendiez-vous avec Cingria ?) et il est publié par Fata Morgana.
Une seule petite chose manque à la félicité sans bornes du libraire : que l'éditeur lui signale, aussi discrètement qu'il le veut, la date à laquelle le carnet du félidé en question fut rédigé et, peut-être, publié. Une petite ligne en page 4 ou in fine eût suffit, s'il ne voulait pas se fendre d'une présentation.
Pour faire brièvement connaissance avec Cingria et son art, cette vidéo n'est pas superflue. Vous avez les hommages de Charles-Albert.


vendredi 20 janvier 2017

La faculté d'admiration

Anna Maria Ortese, Les Petites Personnes,
traduit de l'italien par Marguerite Pozzoli,
Actes Sud, 350 pages, 23 €
Anna Maria Ortese (1914-1998) est, avec Natalia Ginzburg (1916-1991), et de la même génération qu'elle, la prosatrice italienne préférée du libraire.
Elles furent deux consciences, deux " consciences profondes ", selon la propre expression d'Ortese, aux prises avec le monde et l'humanité, leurs duretés, leurs beautés, leurs tragédies, leurs illuminations.
Deux consciences sensibles à la condition des créatures les plus faibles, parmi les hommes ou chez les autres animaux.  Une bonne partie de ce nouveau recueil posthume d'Anna Maria Ortese est, du reste, consacrée aux créatures sauvages ou apprivoisées et à leurs souffrances. Le chien torturé ; les bêtes livrées à la vivisection ; le cochon que l'on saigne. " Avec une absolue lassitude du cœur ". Et, toutefois, la faculté  d'admiration conservée jusqu'au bout -- tout Ortese est exprimée dans ces quelques mots.
" Admirer quoi ? me dira-t-on ? Je n'ai pas de doute : admirer le monde et toutes les formes des choses : celles qui sont à l'extérieur du monde et que nous ne voyons pas, mais dont les instruments et la pensée nous disent qu'elles sont réelles,  et celles qui apparaissent, restent un moment puis disparaissent -- en une grandiose fantasmagorie qui se divise en saisons et se répartit en temps ordonnés -- sur la planète où nous vivons. "

Le Chez-soi des animaux, de Vinciane Despret, est une jolie réflexion destinée aux enfants sur les animaux et leur habitat, leur oïkos : la coquille, pour l'escargot, le nid, pour l'oiseau, l'espace chargé de leurs chants pour les singes chanteurs. Ou encore, l'endroit de la rivière que les saumons doivent retrouver. Poétique et scientifique. A conseiller vivement.
Vinciane Despret, Le Chez-soi
des animaux, Actes Sud,
48 pages, 6 €

jeudi 19 janvier 2017

Trois femmes remarquables

Elles s'appellent Charlotte Delbo, Germaine Tillion et Milena Jesenkà.
Leur vie, leur action, leur œuvre seront présentées par
Jacqueline Bourgeade, Catherine Delisle-Pelletier et Milie Moratille
SAMEDI 4 FEVRIER à 15h30
au numéro 5 de la rue Sornin.
Nous vous espérons nombreux !

Charlotte Delbo (1913-1985)

Germaine Tillion (1907-2008)
Milena Jensanskà (1896-1944)

 

mercredi 18 janvier 2017

Samedi BD (21)

Lors du dernier SAMEDI BD, Géraldine a (notamment) évoqué
les cinq pépites suivantes :

Zerocalcare, Kobane Calling,
Cambourakis, 23 €

Jean-Denis Pendanx, Au bout du fleuve,
Futuropolis, 20 €


Morvan, Evrard, Tréfouël, Walter, Irena,
Glénat, 14,95 €

Ancco, Mauvaises filles,
Cornelius, 20,50 €

Alcante, Bollée, Besse, Lao Wai,
Glénat, 13,90 €
 
 


mardi 17 janvier 2017

Mâcher ses mots et autres gamineries

Eric Chevillard, Ronce-Rose, Minuit,
142 pages, 13,80 €
Quelqu'un qui aime à ce point les mots ne peut pas être complètement mauvais.
C'est ce que le libraire se dit immédiatement en lisant Ronce-Rose, sans trop savoir où est en train de le conduire Eric Chevillard. Et ce sentiment est agréable.
Il y a plein de vocables que Ronce-Rose, l'héroïne de ce roman (comme il est indiqué sur la couverture du livre)  ne comprend pas :
" Ornithologie " ou les mots de l'expression " âpre au grain ". "Gérontologie " non plus (vocable dont elle devrait, si jeune, se méfier).
En revanche, elle connaît du russe : isba et samovar et apprécie, comme Mâchefer, son copain, les mots français " parfum", " jeune
fille ", " harmonie " et l'expression : " le bonheur passait il a fui ".
Avez-vous suivi ?
Vous ne devriez plutôt pas. 
Car la logique n'est pas le fort de Ronce-Rose.
Le rapport du mot à la chose, l'arbitraire du signe et tout le tralala linguistique, voilà ce qui l'intrigue. Attendu qu'elle est de la famille d'Alice (celle du pays des merveilles,  patrie préférée du libraire) et de Zazie (celle du métro, pas la chanteuse).
Eric Chevillard, quand il n'imagine pas les mots qui font vivre Ronce-Rose tient une chronique littéraire dans Le Monde. L'une des meilleures sur le marché. Car il ne mâche pas ses mots.
Ce qui fait plusieurs plumes à son chapeau. Pour parler comme Ronce-Rose qui n'est pas née de la dernière pluie et prend les mots à la lettre. Voilà, c'est dit. Ronce-Rose que l'on surnomme
" moulin à paroles " et qui est " blonde comme les blés ", se lit par ailleurs comme un conte d'aujourd'hui.

Eric Chevillard, L'autofictif à l'assaut des cartels,
L'Arbre vengeur, 224 pages, 15 €

lundi 16 janvier 2017

Esprit es-tu là ?

François de Groiseilliez, L'Art de devenir député
et même ministre par un oisif qui n'est ni l'un
ni l'autre, Librio, 110 pages, 3 €
Cela s'appelle-t-il rentrer sur les chapeaux de roue ? Les lecteurs du blog jugeront. Nous avons trouvé ceci :
" Les champs électoraux se sont immortalisés par plus de défaites que de victoires. Que de vertus rares ne les ont traversés avec amertume ;! Que de réputations brillantes y ont trouvé leur tombeau ! Que de talents, dont à l'avance on assurait le triomphe, y ont vu s'évanouir leur prestige trompeur ! Que der fortunes y ont été inutilement dévorées par les frais de la guerre ! Des champions terrassés et pour toujours mis hors de combat, des armes brisées, des masques arrachés du front de l'hypocrisie, des brochures déchirées, des journaux ensanglantés, le fouet du ridicule achevant les vaincus, et quelquefois même sévissant contre les vainqueurs, voilà souvent le triste spectacle qu'offre aux yeux de la France affligée le champ de bataille d'une élection. "
Ces lignes sont signées François de Groiseilliez, qui naquit en 1807 et mourut en 1887 (oui, il y a fort, fort longtemps) et dont le libraire n'avait oncques entendu parler. Son livre est intitulé L'Art de devenir député et même ministre par un oisif qui n'est ni l'un ni l'autre. Il paraît dans la collection Philosophie de chez Librio. Le libraire hésite à le classer au rayon humour. Demandez-lui.
Au rayon philosophie, et nulle part ailleurs, vous trouverez un plaidoyer en faveur de Schopenhauer (1788-1860) par Michel Houellebecq qui nous révèle être tombé raide dingue un jour à la bibliothèque de l'auteur du Monde comme volonté et comme représentation (1819) " En quelques minutes, tout a basculé. " Les éditions de L'Herne proposent le coup de foudre.

Michel Houellebecq, En présence de
Schopenhauer, L'Herne, 94 pages, 9 €