samedi 25 novembre 2017

Le crépuscule des libraires et autres fariboles électroniques

Ceci dans les colonnes de Livres Hebdo (23 novembre 2017) sous le titre " Plongée dans l'intelligence artificielle appliquée au livre" , un titre rafraîchissant pour un style qui ne l'est pas moins :

" Les Assises du livre numérique du Syndicat national de l’édition ont exploré la mise en œuvre de l’analyse de données massives et des outils sémantiques au service de l’innovation dans le livre.
« Imaginez un libraire se rappelant de tout ce que vous lui avez acheté comme livre, et de tout ce que vous lui avez dit que vous aimiez, et qui est en plus disponible 24 h sur 24 pour vous en recommander d’autres, en fonction de ce qu’il sait : c’est ce que nous ambitionnons de faire », a expliqué Michael Tamblyn, P-DG de Kobo, en ouverture des Assises du livre numérique, organisées par le Syndicat national de l’édition, à Paris, le 23 novembre.
  Le patron de cette librairie numérique, aujourd’hui filiale du groupe japonais Rakuten, implantée dans 23 pays, revendiquant plusieurs dizaines de millions de clients, a reconnu que les débuts de la recommandation (curation) de livres avaient été assez frustres et basiques, mais que la puissance de calcul et les outils de l’intelligence artificielles ouvraient des possibilités quasi infinies.
Il n’a pas éludé les risques de ces algorithmes de recommandation (homogénéisation et banalisation de l’offre), qui dépendent de l’usage qui en est fait, mais s’est montré confiant dans les vertus du marché, la concurrence étant selon lui la meilleure garante de la diversité de la diffusion. "

Reste à trouver le nom de cette pseudo-librairie du futur. " Catastrophe ", lui irait assez bien. Peut-être : " Abomination ". Avez-vous des suggestions ?



 

jeudi 23 novembre 2017

Ella et Pitr Dada

                                                           Cette image ne donne qu'une faible mesure des fresques réalisées par Ella et Pitr : elles peuvent atteindre des dimensions improbables, comme celle réalisée sur... la pelouse du stade Geoffroy Guichard, à Saint-Etienne. D'autres fois, elles occupent l'espace d'un grand panneau publicitaire, où viennent s'encadrer, se blottir, se tasser des personnages aux yeux souvent fermés -- sur quel monde intérieur ? A Chicago, sur un pan de mur de brique, l'un deux s'est affaissé, coincé dans ce cadre immense : un fêtard, pantin ridicule qui vient de se faire mettre à la porte par sa compagne ; il est à-demi nu, une paire de chaussures rouges et féminines sur la tête... A Montréal, sur un toit qu'il recouvre entièrement et  jouxtant une voie ferrée, on dirait que celui-ci s'est endormi, une couronne incertaine au-dessus de la tête, pauvre pantin tombé d'où, après quelle avanie ?
Cette iconographie pour aujourd'hui se trouve dans Ella et Pitr. Comme des fourmis, que publient les éditions Alternatives, le livre le plus complet sans doute qui leur ait été réservé jusqu'à maintenant.
L'iconographie Dada se trouve bien représentée dans Dada Africa, qui accompagne l'exposition du même nom au musée de l'Orangerie, à Paris. Les promoteurs de ce grand bazar moral et artistique que fut Dada ( les Tristan Tzara, Raoul Hausmann, Hans Richter, Sophie Taeuber, au début, Hans Arp) seraient peut-être les premiers surpris que l'on honore les 101 ans de leur festival de provocations. Ici, il s'agit essentiellement de montrer à quelles sources primitives ils allèrent se consoler et se renforcer après la grande démoralisation de la Première Guerre mondiale. Qu'on ironise ou non, leurs extériorisations, qui prirent les formes de la typographie, du masque, du costume, de la danse, de la sculpture, du poème sonore, du photo-montage ont conservé une vitalité explosive.

Dada Africa,
Hazan, 224 pages, 32 €

mercredi 22 novembre 2017

Sortilèges de Mercè Rodoreda

Mercè Rodoreda, La Place du diamant,
traduit du catalan par Bernard Lesfargues,
L'imaginaire, 238 pages, 9,50 €
Double bonne idée dans Le Matricule des anges, dont le libraire se fait souvent l'écho. Réserver une chronique, appelée " Les intemporels ", à des auteurs et à leurs livres que l'étourderie ou la mode ou d'autres motifs ont laissé sur le bord de la route. D'une part. Et, d'autre part consacrer la chronique de ce mois à Mercè Rotoreda (1909-1983), la grande catalane, dont certain mur de Barcelone accueillait et, accueille peut-être encore, le portrait. C'est au travers du roman le plus connu de Rodoreda, La Place du diamant, que la revue fait revivre Mercè et son personnage inoubliable : Natàlia. Il ne se passe rien de bien notoire dans la vie de cette femme d'un quartier pauvre de Barcelone, mariée à un rustre qui va s'engager dans l'armée républicaine contre Franco et y laisser la vie. Il ne se passe rien sinon la peinture d'une psychologie féminine émouvante ; il ne se passe rien qu'un style, qu'une phrase reconnaissable entre toutes (portée en français par Bernard Lesfargues), ce qui fait deux qualités pas si courantes. Jugez plutôt : 
" Il faisait chaud. Les gamins lançaient des tas de pétards au coin des rues. Par terre il y avait des graines de pastèque et dans les coins des peaux de pastèque et des bouteilles de bière vides et sur les terrasses on lançait aussi des pétards. Et sur les balcons. On voyait des visages luisants de sueur et des jeunes gens qui s'épongeaient avec leur mouchoir. Les musiciens contents et en avant la musique. C'était comme un décor. Et le paso doble. Je me suis retrouvée en train de danser et, lointain tellement elle était près, j'ai entendu la voix de ce jeune homme qui me disait vous voyez bien que vous savez ! Il sentait fort la transpiration et l’eau de Cologne éventée. Ses yeux de singe près des miens et de chaque côté du visage les lobes des oreilles. La ceinture élastique enfoncée dans ma taille et ma mère était morte et ne pouvait plus me conseiller, parce que j'ai dit à mon cavalier que mon fiancé était cuisinier à l'hôtel Colon et il a ri et il m’a dit qu'il le plaignait beaucoup parce que dans un an je serais sa femme et sa reine. Et que nous danserions le bouquet place du Diamant. "
La Place du diamant est le classique, en quelque sorte, de Mercè Rodoreda dont l'œuvre se déploie cependant vers d'autres horizons, servis, tant et plus, par une langue et un univers personnels au possible auxquels le lecteur ne peut échapper. Malgré sa noirceur, malgré son mélange tissé très serré de réalisme et de glissades dans le fantastique : un fantastique quotidien, où les personnages féminins ont, toujours, une grande part.

Mercè Rodoreda, Voyages et fleurs, traduit du
catalan par Bernard Lesfargues, Fédérop/Librairie
La Brèche, 118 pages, 15 €

mardi 21 novembre 2017

Les Cahiers Albert Londres

Cahiers Albert Londres, N° 1, octobre 2017,
146 pages, 12 €
 
Les Cahiers Albert Londres viennent de voir le jour. " Travailleur acharné, le " prince des reporters "
a embrassé durant dix-huit ans la planète, transcrivant avec enthousiasme ou indignation les observations méticuleuses ramenées de ses voyages. Ses textes, épurés et puissants, centrés sur l'humain, restent plus vivants que jamais. Les bagnes, les asiles psychiatriques,  le dopage sportif, la prostitution, les conditions de travail en Afrique noire : sous sa plume les sujets conservent cette force de frappe qui (...) soulevait les bancs de l'Assemblée nationale et faisait trembler les gouvernements ", affirme l'éditorial du premier numéro de la revue, réalisé sous la direction rédactionnelle de Bernard Cahier.
Cette livraison est constituée d'un fort dossier central intitulé " Marseille ", et fait le point sur les représentations de la ville dans la géographie, l'histoire et la littérature et l'envers du décor tel qu'il fut révélé par Albert Londres.
Une " Chronique du prix Albert Londres " lui fait suite ainsi qu'une étude de Myriam Boucharenc sur les spécificités du grand reportage à l'intérieur du journalisme. Une bibliographie londrienne et divers échos de la vie et de l'activité de l'association Maison Albert Londres complètent la publication qui sera annuelle.
Les éditions du Michka font paraître parallèlement deux ouvrages : Albert Londres et les tensions du Proche-Orient en 1920 et Albert Londres et l'Extrême Orient, tous deux présentés par Bernard Cahier.
Maison natale d'Albert Londres à Vichy

lundi 20 novembre 2017

Belles rencontres à venir

La librairie A la Page vous propose de belles rencontres dans les semaines à venir :
à commencer par ce samedi 25 novembre, à 15 h,
avec Christiane Jordis, auteur de
Automnes. Plus je vieillis plus je me sens prête à vivre (Albin-Michel)
 
 
Le mercredi 6 décembre, à 18 h, nous recevrons
Marc-Antoine Gallice, co-auteur de
Symbolique des Kilims (Bleu Autour)
 
 
Tandis que le samedi 9 décembre, à 15 h 30,
verra Maud Leyoudec,
chargée des collections Beaux-Arts et Arts décoratifs
du musée Anne de Beaujeu de Moulins,
nous présenter De couleurs et d'or
(Musée Anne-de-Beaujeu/Tomacom)
 
 
 
 

dimanche 19 novembre 2017

Les pas mènent à Segalen

Jean-Luc Coatalem, Mes pas vont ailleurs,
Stock, 280 pages, 19,50 €
Les " biofictions " (à savoir les fictions littéraires en forme de biographie) sont tendance.
Le livre que vient de consacrer Jean-Luc Coatalem au voyageur, archéologue, essayiste et poète Victor Segalen (1878-1919) ne s'apparente pas véritablement à cette catégorie d'écrits. C'est plutôt du côté de l'essai qu'il incline (ce que confirme le Prix Femina essai qu'il vient de recevoir).
L'admiration que conçoit Jean-Luc Coatalem pour l'auteur de René Leys n'est pas dissimulée derrière un langage et un apparat académiques propres à glacer le lecteur. Elle ne se départit pas non plus de la distance nécessaire envers son sujet, et sait ainsi éviter les ornières de l'indentification. Chaleureux, érudit sans affichage intempestif, Mes pas vont ailleurs nous guide assurément vers le cœur de l'univers de Victor Segalen
Médecin, sinologue, goncourable en 1907 pour les Immémoriaux, le grand public tarde à découvrir ce dernier, même en cette année où l'on célèbre Gauguin dont il fut l'interprète passionné dès 1904 et dont il sauva maintes œuvres de la destruction et de l'oubli : " Gauguin fut un monstre, écrivait Segalen. C’est-à-dire qu’on ne peut le faire entrer dans aucune des catégories morales, intellectuelles ou sociales, qui suffisent à définir la plupart des individualités. Pour la foule, juger c’est étiqueter. On peut être honorable-négociant, magistrat-intègre, peintre-de-talent, pauvre-et-honnête, jeune-fille-bien-élevée ; on peut être « artiste », voire « grand artiste ». Mais c’est déjà moins permis, et il est impardonnable d’être autre chose que tout cela ; car il manquerait, pour être classé, le cliché requis. " (" Gauguin dans son dernier décor")
Archéologue brillant, arpenteur et poète de la Chine, Segalen a théorisé l'exotisme ou " l'amour des autres mondes " et a soupiré après la perte de ce qu'il appelait le Divers dans l'espace, le temps, les plantes, les animaux et les espèces humaines. Aussi fin linguiste que piètre mari, Segalen mourut précocement et les raisons de sa mort restent sujettes à interprétations.

Le libraire opine que René Leys, Les immémoriaux, cités plus haut, et Stèles devraient remplir les bagages du lecteur-voyageur d'aujourd'hui.

Victor Segalen, Les Immémoriaux,
Livre de poche, 316 pages, 5,60 €