samedi 15 octobre 2016

Lettres d'amour

 
Mireille Sorgue, Lettres à l'Amant,
Albin Michel, 2 volumes, 17 € chacun
On dirait que la presse bruisse de lettres d'amour ces jours-ci.
Le libraire aime l'amour et les lettres d'amour.
 
" M'éveillant aux disputes d'oiseaux, je bouge indécise encore, puis d'un seul retournement, de l'oubli je viens au jour des fenêtres. Alors je te rencontre, et je te reconnais.
Matin ! et j'aime cette heure neuve où mon amour balançant du rêve à la réalité, s'étonne de lui-même, se dénude et s'éprouve. Une lèvre extrême de nuit se dérobe; et la rumeur confuse de mes rives en sommeil se change en un silence pur. Je te retrouve. Ma bouche se sait promise. Une douceur s'amasse où des rires infusent. Ma chair à voix haute divague, et mes mains lentes t'invoquent sur la place à mon côté où je t'imagine dormant. Le temps sur notre accord se compose.
Un jour encore !
Un jour. Je ne me lève pas pour besogner, mais pour t'écrire. "
 
" J'ai assez le sentiment que le temps m'est compté (...) Il me semble qu'en t'écrivant, je pare au plus pressé. Ce travail-ci peut attendre, mais sais-je, si demain vient, sais-je si demain je vis ? Et ce remords que j'aurais à te quitter à mi-dialogue, ce remords que j'ai, que j'aurai : car nous n'en finirons pas de cette conversation-ci, et que t'aurai-je dit qui vaille, que t'aurai-je légué qui soit de quelque poids,
                   hors ces deux mots
                                 Mon amour
                                         qui ne te consoleront pas "
 
Mireille Sorgue était une jeune femme poète, née en 1967 et morte à l'âge de 23 ans,
laissant notamment ces deux volumes  (1985) d'incandescence pure.
 
 
 
                       
 

vendredi 14 octobre 2016

Courtes promenades dans un catalogue

Asger Jorn, un artiste libre, La Bibliothèque des Arts,
224 pages, 39 €
Vous voulez vous sortir du stress de la nouveauté  ? Eh bien, le libraire vous invite à feuilleter avec lui le catalogue de la Bibliothèque des Arts, une maison d'édition qui travaille dans la durée et la discrétion, peu célébrée par les journaux. 
Né en 1954, cet éditeur suisse basé à Lausanne, se consacre à la publication de monographies d'artistes modernes et contemporains ; de catalogues d'expositions ; il s'intéresse aux arts décoratifs et appliqués ; à la mise au point de correspondances, toujours de haute tenue et sans égard pour la mode.
Voici Papiers peints, qui révèle la poésie des murs intérieurs ; voici Asger Jorn, l'un des plus grands peintre-poète-théoricien du XXe siècle ; voici les artistes du Nouveau Monde, les Thomas Cole et les Church, sans oublier Audubon ; voici la correspondance de Gallé avec son épouse Henriette à côté de celle de Matisse et Rouault ; et les quatre volumes des Mille feuilles de Georges Borgeaud, que tous devraient pratiquer au pays de Valery Larbaud -- d'autant plus que les livres de cette collection se présentent dans une belle livrée de papier cristal.
Au catalogue de la Bibliothèque des Arts s'est récemment joint celui des éditions Ides et Calendes. Un certain fluide passait entre les deux maisons et notre promenade suit son cours sans cahots.
Voici le trop méconnu Roger Bissière, étudié par Daniel Abadie ; voici Picassiette en son ébouriffant paradis de mosaïques et son compère en naïveté, Gaston Chaissac ; Jorn, de nouveau. Et puis, dans la collection Pergamine, rendez-vous avec Pol Bury ou Ramuz. Ou encore avec Henri Rousseau, l'employé de l'octroi pour lequel le libraire a un petit faible.
Tous ces noms vous sont peu familiers, pour certains inconnus ?
Quelle chance est la vôtre avec toutes ces lectures devant vous !


Jean Bouret, L'Ecole de Barbizon et le paysage français
au XIXe siècle, Ides et Calendes, 248 pages, 59 €

jeudi 13 octobre 2016

Jack London, héros du jour

Jack London, Romans, récits et nouvelles,
tomes I et II, sous coffret, Prix de lancement :
110 €

A la veille du centenaire de sa mort, le 22 novembre 1916, Jack London incarne le mythe de l'écrivain populaire, aventurier, bagarreur, grand voyageur et se vaut en même temps l'image, un peu plus terne, d'un auteur pour la jeunesse.
Croc-Blanc et L'Appel de la forêt, d'abord vendus comme des histoires d'animaux (donc, forcément comme des histoires enfantines) n'entrent pas pour rien dans ce contresens qui a la vie dure.
Toutes les grandes collections de poche proposent ces deux titres à leur catalogue, mais éditions et rééditions du Talon de fer, par exemple (on en compte au moins cinq versions en librairie à ce jour, toujours présentées comme des " découvertes " d'un texte " méconnu ") ; la traduction de plusieurs volumes de romans, nouvelles, récits autobiographiques et articles dans la collection
" Bouquins " depuis de nombreuses années ; la multiplication des traductions de textes réputés secondaires par de petites maisons d'édition, autant que la multiplication des versions de Martin Eden (une " nouveauté " de chez Folio !) ainsi que l'adaptation de ce chef-d'œuvre en bandes dessinées chez Futuropolis, n'ont pas suffi à laver Jack London de sa réputation d'auteur pour lecteurs adolescents.
Son entrée dans la Pléïade, en deux volumes sous coffret, qui en fera définitivement l'un des auteurs étrangers les mieux couverts par l'édition française, signera peut-être la fin de cette carrière paradoxale. Et sa nécessaire réorientation. Plusieurs biographies y participent à leur niveau. Le libraire ne se dérobera pas.

Olivier Weber, Jack London, L'Appel du grand ailleurs,
Paulsen, 350 pages, 56,00 €

mercredi 12 octobre 2016

Et maintenant : comment dessiner les animaux ?

François David, Un ours, des ours,
Sarbacane, 25 €
Après s'être demandé comment écrire les animaux (dans le billet du 7 octobre), demandons-nous comment les dessiner pour les enfants. A cette question, l'équipe d'illustrateurs (ils sont plus de trente) qui a travaillé pour Un ours, des ours a trouvé de fort belles réponses.
Chacun selon son tempérament a décliné l'image que l'animal, après des siècles difficiles pour lui, s'est acquise auprès des enfants (et des grands). Chaque dessinateur était guidé par les poèmes de François David explorant les mille formes de l'animal : peluche, tendre doudou, représentant des constellations sur la Terre ou magnifique bête blanche promise à disparaître avec la banquise.

Lorsque les tigres
Mangeront des épinards
Et les léopards
Des spaghettis

Les ours alors s'envoleront
Sur des coussins moelleux
Pour aller boire le lait
Des étoiles.

Humour, tendresse, réalisme, naïveté (vraie ou plutôt feinte), collages graphiques : toute la palette de l'illustration contemporaine s'est mise à chanter l'ours, dans sa fourrure blanche ou brune. Le panda (tellement sollicité d'habitude dans les images) est resté pour une fois au sommet de son arbre. On ne le voit pas
.
Stephen Walton, lui, a choisi le fusain pour dessiner la sauvagerie et la faune en danger. Et le résultat est d'une précision, d'un hyperréalisme bluffant. Pas un poil ne manque à la barbe du tigre ou à la crinière du lion, pas une ride à la peau des éléphants ni une rayure au costume du zèbre. Le fusain si fouillé de Stephen Walton montre aussi, s'il en était besoin, la force d'un dessin en noir et blanc.
Il faut dire que l'illustrateur est photographe dans une vie parallèle. " Quand je suis sur le terrain, explique-t-il, je prends des photographies, et lorsque je suis à la maison, je m'en inspire pour dessiner, mais il m'arrive aussi d'utiliser les clichés d'autres photographes comme modèle. "
Le libraire a remarqué une bonne idée à la fin de l'album : l'existence d'une section " Références et lectures recommandées ." Il approuve ce dispositif, rare dans les albums pour la jeunesse.
Hélas, hélas ! Pas un seul de ces conseils ne renvoie à des livres. Tous renvoient à des sites et, donc, à des écrans.
Grrrr ! Grrrrr ! le libraire sauvage sort ses griffes !


Katie Cotton/Tephen Walton,
Sauvage, Gautier Languereau, 18 €

mardi 11 octobre 2016

Tobie Nathan : une clé des songes

Tobie Nathan, Les Secrets
de vos rêves, Odile Jacob, 314 pages,
22,90 €
D'où vient que le rêve est si présent ces derniers temps sur l'étal du libraire ? La dureté du moment que l'on traverse ? Un brusque retour d'intérêt pour une activité humaine profonde qui traverse les époques et les sociétés ? La curiosité redoublée pour ce qui passionna des générations d'artistes ? Ou de freudiens, persuadés que le rêve est une expression de l'inconscient ?
L'ethnopsychologue Tobie Nathan, mi anthropologue mi psychanalyste,  apporte ici sa pierre à l'édifice onirique. Il osculte les songes en tenant compte de l'universalité du phénomène et des pratiques des dormeurs appartenant à des espaces autres que l'Occident. Ou à d'autres époques. 
Ainsi les anciens Grecs, ou les Indiens d'Amérique. Ou bien encore les actuelles cultures du Maghreb, d'Ethiopie ou... de Paris que des "banques de rêves " (c'est-à-dire des listes informatisées de rêves recueillis en laboratoire, à ne pas confondre avec quelque Société Générale ou B.N.P. que ce soit) permettent d'interroger. 
Dans un langage des plus abordables, il analyse les récits qui  lui ont été faits par ses patients. Il en propose une lecture et prodigue ses conseils pour que les rêveurs changent d'habitudes nocturnes et, un peu, de conduite diurne.
En eux-mêmes, avant interprétation, ces rêves ou ces cauchemars constituent souvent de brefs morceaux de littérature que l'on peut goûter pour eux-mêmes et le mystère qu'ils abritent.
Ces récits et leurs interprétations ont été publiés dans Psychologies magazine.


Sigmund Freud, L'interprétation du rêve,
PUF, 756 pages, 18 €

lundi 10 octobre 2016

Samedi bd (18)

Samedi dernier fut un SAMEDI BD.
 Parmi le choix de Géraldine figuraient, tenez-vous bien,
les cinq albums suivants : 
 
Emmanuel Lepage, Sophie Michel & René Follet,
Les Voyages d'Ulysse, Daniel Maghen, 224 pages
29 €

Hubert, V. Augustin, Monsieur désire ?,
Glénat, 128 pages, 17,50 €

Angux & Tamarit, Avery's Blues,
Steinkis, 80 pages, 17 €

Guy Delisle, S'enfuir. Récit d'un otage,
Dargaud, 432 pages, 27,50 €

Miles Hyman, La Loterie, d'après Shirley Jackson,
Casterman, 140 pages, 23 €

dimanche 9 octobre 2016

Georges Pérec chez les libraires

La Littérature est une rencontre.
 Je me souviens, Arléa, 110 pages,  13 €
Quoi d'étonnant, interrogerez-vous ?
Sauf que ce sont les libraires eux-mêmes (et les représentants des maisons d'édition) qui ont été sollicités par Arléa pour composer ce recueil à la mode de Pérec sous le titre La Littérature est une rencontre. Je me souviens.
Il sera en vente le 22 octobre. Bref florilège :
 " Je me souviens  de l'effroi qui me prenait en 5e lorsque j'arrivais à la lecture du vers suivant : " Il a deux trous rouges au côté droit. " (Christophe Aubert, Clarisse et Pierre, représentants)
" Je me souviens de mes larmes lorsqu'une rupture de canalisation a inondé la table de nouveautés."
(Christelle Quéval, librairie Eyrolles, Paris)
"Je ne me souviens pas de la fin de Fin de partie de Samuel Beckett. " (Isabelle Theillet, Mots et Motions, Saint-Mandé)
" Je me souviens de l'été de Britannicus et des Nous Deux parfumés à la poudre de riz de ma grand-mère. " (Carole Rotis, représentante)
" Je me souviens que quand j'étais petite, moi, je ne voulais être ni libraire, ni représentante, je voulais être écuyère. " (Emmanuelle Leroy, représentante)
" Je me souviens du client désolé qu'on ne vende pas de parapluies. " (Librairie L'Odeur du temps, Marseille)
" Je ne me souviens pas où j'ai planqué le E. " (France Verrier, librairie Les Yeux gourmands, Bruxelles)
La contribution du libraire se trouve aux pages 22 et 23 de l'ouvrage (s'il se souvient bien).
Et c'est ainsi qu'Arléa est grand !

Georges Pérec