mercredi 22 novembre 2017

Sortilèges de Mercè Rodoreda

Mercè Rodoreda, La Place du diamant,
traduit du catalan par Bernard Lesfargues,
L'imaginaire, 238 pages, 9,50 €
Double bonne idée dans Le Matricule des anges, dont le libraire se fait souvent l'écho. Réserver une chronique, appelée " Les intemporels ", à des auteurs et à leurs livres que l'étourderie ou la mode ou d'autres motifs ont laissé sur le bord de la route. D'une part. Et, d'autre part consacrer la chronique de ce mois à Mercè Rotoreda (1909-1983), la grande catalane, dont certain mur de Barcelone accueillait et, accueille peut-être encore, le portrait. C'est au travers du roman le plus connu de Rodoreda, La Place du diamant, que la revue fait revivre Mercè et son personnage inoubliable : Natàlia. Il ne se passe rien de bien notoire dans la vie de cette femme d'un quartier pauvre de Barcelone, mariée à un rustre qui va s'engager dans l'armée républicaine contre Franco et y laisser la vie. Il ne se passe rien sinon la peinture d'une psychologie féminine émouvante ; il ne se passe rien qu'un style, qu'une phrase reconnaissable entre toutes (portée en français par Bernard Lesfargues), ce qui fait deux qualités pas si courantes. Jugez plutôt : 
" Il faisait chaud. Les gamins lançaient des tas de pétards au coin des rues. Par terre il y avait des graines de pastèque et dans les coins des peaux de pastèque et des bouteilles de bière vides et sur les terrasses on lançait aussi des pétards. Et sur les balcons. On voyait des visages luisants de sueur et des jeunes gens qui s'épongeaient avec leur mouchoir. Les musiciens contents et en avant la musique. C'était comme un décor. Et le paso doble. Je me suis retrouvée en train de danser et, lointain tellement elle était près, j'ai entendu la voix de ce jeune homme qui me disait vous voyez bien que vous savez ! Il sentait fort la transpiration et l’eau de Cologne éventée. Ses yeux de singe près des miens et de chaque côté du visage les lobes des oreilles. La ceinture élastique enfoncée dans ma taille et ma mère était morte et ne pouvait plus me conseiller, parce que j'ai dit à mon cavalier que mon fiancé était cuisinier à l'hôtel Colon et il a ri et il m’a dit qu'il le plaignait beaucoup parce que dans un an je serais sa femme et sa reine. Et que nous danserions le bouquet place du Diamant. "
La Place du diamant est le classique, en quelque sorte, de Mercè Rodoreda dont l'œuvre se déploie cependant vers d'autres horizons, servis, tant et plus, par une langue et un univers personnels au possible auxquels le lecteur ne peut échapper. Malgré sa noirceur, malgré son mélange tissé très serré de réalisme et de glissades dans le fantastique : un fantastique quotidien, où les personnages féminins ont, toujours, une grande part.

Mercè Rodoreda, Voyages et fleurs, traduit du
catalan par Bernard Lesfargues, Fédérop/Librairie
La Brèche, 118 pages, 15 €

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