Jacques Lusseyran, Le Monde commence aujourd'hui, Folio, 192 pages, 6,50 € |
Je voyais encore. L'opération visuelle ne se produisait plus par l'intermédiaire de mes yeux, cela est vrai. Mais elle se produisait : elle avait lieu au-dedans de moi, dans un espace intérieur qu'il est difficile de circonscrire, mais, après tout, ni plus ni moins que l'espace extérieur. J'insiste : toute chose qui venait à ma rencontre était aussitôt vue, vue et non touchée ou entendue : elle se dessinait, prenait forme et couleur sur un écran interne. Et cela sans que je fisse rien pour déclencher le phénomène. Au reste, comment aurais-je fait quoi que ce fût, moi qui n'avais encore que huit ans. "
Ces lignes sont extraites de Le monde commence aujourd'hui, de Jacques Lusseyran, qui poursuit :
"Cette projection visuelle des objets sur l'écran interne présentait une différence importante avec les images de la mémoire. Celle-ci, les souvenirs, je les voyais aussi, mais dans ma tête, au niveau et de mon front et de mon cerveau. Celles-là, les choses vues, je les percevais beaucoup plus largement : dans l'ensemble de mon organisme. "
Outre Le monde commence aujourd'hui (1959), Lusseyran a publié Et la lumière fut (1953). Aveugle, donc, dès son jeune âge, il fut écarté de la fonction publique en raison de sa cécité en 1943, par décision du ministre Abel Bonnard. Arrêté cette même année, pour fait de résistance active, il fut conduit à Buchenwald et libéré en avril 1945. Jérôme Garcin a retracé ces années dans Le Voyant, également paru chez Folio.
Les aveugles sont restés exclus de l'enseignement public jusqu'en 1955.
N'est pas voyant celui qui le croit.
Jacques Lusseyran, Et la lumière fut, Folio, 432 pages, 7,70 € |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire