mardi 31 octobre 2017

Comme disait Rimbaud

Arthur Rimbaud
" Aux Etats-Unis, pour avoir une chance d'être publiés, les auteurs sont quasiment obligés de passer par des ateliers d'écriture. Les stars des lettres (sic) y interviennent ", nous informe Livres-Hebdo Alors, si les étoiles des lettres y interviennent, forcément...
Qu'en aurait pensé Rimbaud ? Il écrivait à Paul Demeny, le 15 mai 1871, ceci : "Je veux être poète, et je travaille à me rendre Voyant. (...) Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens.  Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, -- et le suprême Savant ! -- Car il arrive à l'inconnu ! "
On dira, à juste titre : Rimbaud n'écrivit pas des romans, monsieur le libraire.
Pendant ce temps, les cours d'écriture forment une tendance depuis plusieurs années au pays des Illuminations. Il en existe chez les éditeurs eux-mêmes, Gallimard par exemple. Leïla Slimani, prix Goncourt en 2016 pour Chanson douce (Gallimard)  parle ainsi de son expérience : « Je ne crois pas qu'on apprenne à écrire. En revanche, on peut débloquer certaines choses, renouveler son envie, se désinhiber au contact de quelqu'un. Quand j'ai suivi les ateliers Gallimard, j'étais dans un moment de grand doute, je venais d'envoyer un roman qui avait été refusé. Je me suis retrouvée avec des amoureux de littérature, et ça m'a redonné envie d'écrire. Mais ces ateliers sont surtout efficaces pour ceux qui ont déjà l'écriture en eux. »
Jean-Philippe Arrou-Vignod, auteur bien connu de la jeunesse, a consigné, lui, son expérience dans un livre proposé à ceux qui ressentent le prurit littéraire, pour partager " un savoir-faire et le goût de son métier. ".
Jean-Philippe Arrou-Vignod, Vous écrivez.
Le roman de l'écriture, Gallimard,
208 pages, 18 €

lundi 30 octobre 2017

Laoshu, un Sempé chinois

Laoshu, Un monde simple et tranquille, traduit
du chinois et présenté par Jean-Claude Pastor,
Picquier, 26 €
Un monde simple et tranquille !
Vous avez bien lu : Un monde simple et tranquille.
Non, mais quel doux provocateur ce Laoshu ! Il n'a pas froid aux yeux, et terriblement chaud au cœur, pour s'exprimer ainsi, ce gobe-lune dont le nom (un pseudonyme) signifie " Vieil arbre ".
S'exprimer comment, précisément ? Eh bien, à mi-chemin de la tradition poétique et picturale chinoise et de la plus actuelle actualité -- dont il s'agit pourtant, si le libraire a bien compris, de savoir se détacher, se déprendre et prendre le chemin des nuages, de la neige, des arbres en fleurs, un livre des poètes classiques à portée de main.
Il s'agit d'un livre de dessins accompagnés de poèmes courts que les Occidentaux bavards trouvent souvent " minimalistes ". Ou bien naïfs -- leur auteur ne se présente certainement pas comme un fier-à-bras cynique et revenu de tout.
Bien sûr, il est un peu trop à la mode de se dire que les " gens pensent trop ". Il arrive bien qu'ils ne pensent pas assez.
Mais prendre un petit verre de poésie en compagnie de cette vieille branche de Vieil arbre ne saurait nuire à votre journée, ni à la suivante et quelques autres encore.

Chacun a ses défauts,
Nul n'est meilleur qu'autrui.
Nous sommes tous voués à une fin,
Qui peut prétendre être supérieur ?
Seul le désir permet de répondre au monde,

Seul le détachement nous rend libres.
Le vent s'est levé !
 

dimanche 29 octobre 2017

Paul Léautaud en forme

Paul Léautaud, Journal littéraire,
Folio, 1312 pages, 14,90 €
" Tout livre qu'un autre aurait pu écrire est à mettre au panier. "
" Savoir bien écrire mal, dis-je quelquefois. "
" Ecrire de telle façon, d'une manière si bien accordée à l'homme qu'on est, qu'on reconnaisse tout de suite l'auteur rien qu'à lire trois phrases, c'est donné à très peu. "
" C'est un curieux  mécanisme intellectuel que celui de l'écrivain. Il m'est arrivé d'avoir de grands chagrins. Avec ma manie de tout écrire, je les ai mis sur le papier.  Aussitôt consolé. "
" Rien ne fait mieux écrire que d'écrire sur ce qu'on aime. "
Avec Paul Léautaud (1872-1956) ce petit jeu des citations pourrait continuer longtemps. Car s'il a, somme toute, produit peu de livres et aucun roman, son célèbre Journal littéraire  est une mine pour ce genre d'exercices :  le trait d'esprit (souvent injuste, méchant parfois), le non-conformisme, la vacherie, la flânerie littéraire sans ordre et l'auto-dérision. Ce monument occupe un rayon entier de bibliothèque, mais on pourra en lire des extraits chez Folio.
Les éditions Horay republient aujourd'hui une sélection de bons mots de Léautaud qui furent collectés par Hubert Juin, un parfait critique littéraire et homme de lettres oublié, qui a préfacé impeccablement le recueil. Avec en quatrième de couverture ce regret exprimé par Léautaud que partage le libraire : "Dire qu'il faudra partir un jour, alors que tant de gens continueront à faire l'amour. "
Le Petit ami, disponible dans la collection L'Imaginaire, reste un ouvrage stupéfiant de légèreté et de liberté de ton, tandis que Léautaud y expose une sensibilité souvent cachée sous l'ironie et une permanence tendance à ronchonner.
Paul Léautaud, Le Petit ami,
L'Imaginaire, 224 pages, 8,90 €




jeudi 26 octobre 2017

Marie-Hélène Lafon et le rythme de la ville

Marie-Hélène Lafon, Nos vies,
Buchet-Chastel, 192 pages, 15 €
Notre amie Marie-Hélène Lafon sera sur le plateau de La Grande librairie jeudi 2 novembre.
A ses côtés se trouveront Patrick Modiano, Pierre Michon, Jeanne Balibar et François-Henri Désérable (qui avait fait partie de la sélection du Prix des Lecteurs A la Page en 2015 pour Evariste).
Elle présentera Nos vies, son dernier roman  Buchet Chastel), qui se situe, chose rare chez elle, dans l'univers parisien et " les solitudes qui le tissent ". Malgré le nom doux-amer de la rue où se noue le roman : la rue du Rendez-vous, derrière la place de la Nation.

mercredi 25 octobre 2017

Le Rêve de Patrick Modiano

Patrick Modiano, Souvenirs dormants,
Gallimard, 105 pages, 14,50 €
Un personnage qui lit Les Rêves et les moyens de les diriger du marquis Léon Hervey de Saint-Denys (1822-1892) et y ajoute la lecture du
" spectateur nocturne ", alias Nicolas Restif de la Bretonne (1734-1806), auteur des Nuits de Paris, ne saurait laisser le libraire indifférent.
Mais si, de surcroît, le même personnage fréquente le petit bar qui répond au nom " Le Rêve ", sis  vers le haut de la rue Caulaincourt, dans le dix-huitième arrondissement de la capitale, comment le libraire ne lui en serait pas reconnaissant ?
Comment les souvenirs personnels, même ceux d'un infime libraire de province, n'interviendraient-ils pas dans sa lecture d'un récit ou d'un roman ? Le souvenir personnel n'est-il pas, au contraire, l'un des éléments actifs dans le plaisir de lire (et dans celui d'écrire, mais ceci est une autre affaire, dont traite Georges Picard dans son récent Cher lecteur) ?
Car le libraire infime de province a bien connu le petit bar, si bien nommé " Le Rêve ", dans un moment reculé de son mince existence sur les pentes de Monmartre.
C'est là, à deux pas de l'allée des Brouillards que hantait Gérard de Nervalau pied d'un escalier dominant une petite place, que ce café offrait son asile à certaines de ses discussions et rencontres adolescentes.
" Le  Rêve " n'est donc pas qu'un rêve ; "Le Rêve " (avec son beau comptoir qui mange la petite salle de devant, laquelle est séparée d'une minuscule arrière-salle par une cloison typique), n'a pas seulement abrité des rêves de jeunesse : il a de l'existence dans la vraie vie ; le rêve s'épanche dans la vraie vie. Ce que ne contrediraient ni Hervey de Saint-Denys ni Patrick Modiano.
Le personnage de Souvenirs dormants, un titre réussi, fréquentait cet établissement dans les années 1965, nous dit son auteur (Modiano lui-même ?). Il lisait les journaux à la terrasse. Pile quand l'infime libraire de province y entrait, bousculant les pages de L'Aurore et de France Soir qu'un homme tenait largement dépliées ce jour-là. Les souvenirs dormants se réveillent. Ils sont faits pour ça.

Georges Picard, Cher lecteur,
Corti, 192 pages, 17 €

mardi 24 octobre 2017

Le plaisir du voyageur

Jean-Didier Urbain, Une histoire érotique du
voyage, Payot, 272 pages, 20 €
Se spécialiser dans l'étude du tourisme avait conduit Jean-Didier Urbain à consacrer, après L'Idiot du voyage, un autre volume aux voyages ratés : Le Voyage était presque parfait.
Les "mésaventuriers " (n'en sommes-nous pas tous ?) y voyaient radiographiés leurs mécomptes : visites loupées, monuments décevants, " bonnes affaires " illusoires, nourriture déconcertante, les éditeurs de guides reçoivent régulièrement quantité de plaintes dont ce livre rendait compte.
Après avoir comptabilisé les déplaisirs rencontrés au loin, Jean-Didier Urbain s'attache aujourd'hui au voyage, à l'attirance pour l'ailleurs, sous l'angle inverse : celui du plaisir. 
" Transportant la recherche du plaisir hors des alcôves et autres huis clos érotiques habituels en des espaces extérieurs ou insolites, le désir ne fait pas que projeter et cristalliser sa quête dans des objets de substitution, soutient l'historien. Ici, la recherche du plaisir ne se déplace pas. Elle s'étend. Et le voyage apparaît alors comme un moyen majeur pour effectuer cette extension érotique ", conclut-il.
Plaisir paysager,  jubilations montagnardes, caresse de
l'herbe qui incite Maupassant à écrire au sujet d'un pique-nique au bord du gour de Tazenat (Auvergne) : " Et tout le monde s'étendit dans l'herbe avec une joie animale et  délicieuse. Les hommes s'y roulaient, y enfonçaient leurs mains ; et les femmes, doucement couchées sur le flanc,  y posaient leur joue comme pour y chercher une fraîche caresse. " Ou extases tahitiennes de Gauguin, dont il est beaucoup question en ce moment : " Là à Tahiti, je pourrai, au silence des belles nuits tropicales, écouter la douce musique murmurante des mouvements de mon cœur en harmonie amoureuse avec les êtres mystérieux de mon entourage. "
Jean-Didier Urbain, Le Voyage était presque
parfait, essai sur les voyages ratés, Petite
Bibliothèque Payot, 718 pages, 12,80 €

 


lundi 23 octobre 2017

Avec les Anges et les fleuves

Le Matricule des Anges, n° 187,
52 pages, 6,50 €
Azad Ziya Eren, qui nous avait fait le plaisir et l'honneur de nous rejoindre le 30 septembre dernier, figure au menu du Matricule des Anges  en sa cent-quatre vingt septième livraison.
Ainsi que Kenneth White (Lettres aux derniers lettrés, Isolato) et Gaston Criel (L'Os quotidien, Le Sonneur).
Ce qui fait trois raisons, au moins, de se pencher sur ce numéro.
Pendant ce temps, la revue La Loire et ses terroirs, " magazine du fleuve et des hommes ", fête ses vingt-cinq ans d'âge. Il y est davantage question de géographie, d'orographie, voire de chansons de mariniers, que de littérature. Mais la poésie de l'eau n'est pas loin. Ni l'Allier et ses abords.
Ce qui fait de nombreuses raisons de s'y pencher.
La Loire et ses terroirs N° 100,
216 pages, 20,00 €