Patrick Modiano, Souvenirs dormants, Gallimard, 105 pages, 14,50 € |
" spectateur nocturne ", alias Nicolas Restif de la Bretonne (1734-1806), auteur des Nuits de Paris, ne saurait laisser le libraire indifférent.
Mais si, de surcroît, le même personnage fréquente le petit bar qui répond au nom " Le Rêve ", sis vers le haut de la rue Caulaincourt, dans le dix-huitième arrondissement de la capitale, comment le libraire ne lui en serait pas reconnaissant ?
Comment les souvenirs personnels, même ceux d'un infime libraire de province, n'interviendraient-ils pas dans sa lecture d'un récit ou d'un roman ? Le souvenir personnel n'est-il pas, au contraire, l'un des éléments actifs dans le plaisir de lire (et dans celui d'écrire, mais ceci est une autre affaire, dont traite Georges Picard dans son récent Cher lecteur) ?
Car le libraire infime de province a bien connu le petit bar, si bien nommé " Le Rêve ", dans un moment reculé de son mince existence sur les pentes de Monmartre.
C'est là, à deux pas de l'allée des Brouillards que hantait Gérard de Nerval, au pied d'un escalier dominant une petite place, que ce café offrait son asile à certaines de ses discussions et rencontres adolescentes.
" Le Rêve " n'est donc pas qu'un rêve ; "Le Rêve " (avec son beau comptoir qui mange la petite salle de devant, laquelle est séparée d'une minuscule arrière-salle par une cloison typique), n'a pas seulement abrité des rêves de jeunesse : il a de l'existence dans la vraie vie ; le rêve s'épanche dans la vraie vie. Ce que ne contrediraient ni Hervey de Saint-Denys ni Patrick Modiano.
Le personnage de Souvenirs dormants, un titre réussi, fréquentait cet établissement dans les années 1965, nous dit son auteur (Modiano lui-même ?). Il lisait les journaux à la terrasse. Pile quand l'infime libraire de province y entrait, bousculant les pages de L'Aurore et de France Soir qu'un homme tenait largement dépliées ce jour-là. Les souvenirs dormants se réveillent. Ils sont faits pour ça.
Georges Picard, Cher lecteur, Corti, 192 pages, 17 € |
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