vendredi 30 septembre 2016

Regain de Michel Serres

Michel Serres, Darwin, Bonaparte et le Samaritain,
Le Pommier, 250 pages, 19 €
Il a fait grand beau, hier.
Le libraire a en outre lu ces lignes dans le dernier livre de Michel Serres :

« Je supplie mes lecteurs de consulter ce tableau, déjà cité plus haut, de l’afficher devant leurs yeux, de le consulter en permanence, pour ne pas se laisser abuser par les annonces quotidiennes des médias, qui ne parlent que violences, assassinats et cadavres pour entretenir la terreur. Homicides et violences ne cessent de baisser dans le monde. En particulier, voici des chiffres officiels donnés par et pour les États-Unis, concernant l’année 2011 : dix-sept citoyens de ce pays moururent d’attentats terroristes, aussi bien sur leur territoire qu’en Afghanistan ou en Irak ; en comparaison, le tabac fit, la même année, dans le même pays, quatre cent mille victimes (10% des morts dans le monde, alors que les guerres y sont pour 0,31%), les accidents d’automobile deux cent mille, l’alcool quatre-vingt mille ; il y eut, enfin, cinquante mille homicides par balle, grâce à la liberté du port d’armes. Alors que ces citoyens ont une chance sur sept cent mille d’être tués par la chute d’un astéroïde, ils ont une chance sur dix millions de mourir du terrorisme. Cependant, l’État américain dépense des centaines de milliards de dollars pour se protéger contre ce monstre. Absurde, cet état de choses se répète de manière à peu près équivalente dans les autres pays occidentaux (...) Enfin, la courbe des violences ne cesse de baisser dans le monde : en France, le nombre de meurtres a été, depuis le Moyen Âge, divisé par deux ; en Europe occidentale, ce même nombre d’homicides a été, en sept siècles, divisé par cent. Nous vivons en paix plus que, drogués, nous le croyons. »





jeudi 29 septembre 2016

Maurice Sendak : encore !

Maurice Sendak, Loin, très loin, traduit par
Françoise Morvan, MeMo, 54 pages, 15 €
Maurice Sendak est surtout connu dans la littérature enfantine pour  Max et les Maximonstres.  Mais, après celle de La Fenêtre de Kenny, la republication chez MeMo de deux pépites originellement parues dans les années 1950 montre que Maurice en avait  bien davantage sous le pied.
Loin, très loin dont il est l'auteur du texte et de l'illustration, est un petit chef-d'œuvre d'humour rêveur. Le jeune Martin fait équipe avec un chat, un cheval et un moineau pour se rendre au pays où ... nous ne voulons pas révéler où.
Un trou, c'est pour creuser associe très étroitement le texte de Ruth Krauss et les illustrations gorgées de tendresse de Maurice Sendak. C'est comme un dictionnaire illustré des choses les plus définitivement drôles, et fondamentalement simples, que l'on peut faire ou observer dans le cycle de la vie. " Les orteils, c'est pour danser dessus " ; " Un château, c'est pour construire avec du sable " ; " La boue , c'est pour sauter dedans, glisser dedans et crier youplaboummyouplaboum ".
Vérités implacables.
Le texte a été traduit par Françoise Morvan et il est encore à souligner la qualité des traducteurs que s'est toujours valu Sendak en français : d'Armel Guerne à Pierre Leyris, en passant par Bernard Noël.


Petite biographie de Maurice Sendak

" Benjamin d'une famille de trois enfants, d'origine hongroise, Maurice Sendak est né à New York dans le quartier populaire de Brooklyn. Dès l'âge de neuf ans, il crée et illustre, avec l'aide de son frère Jack, des livres pour les enfants. En 1951, début de sa carrière professionnelle, Maurice Sendak fait publier plus de soixante ouvrages par le suite.
Maurice Sendak bouscule les traditions du livre pour enfants aux Etats-Unis. Il fit l'objet de violentes attaques lors de la parution en 1963 de Max et les maximonstres. On lui reprochait de mettre en scène des images violentes et de remettre en question l'autorité des parents. Depuis, ce chef-d'œuvre est un des best-sellers de la littérature enfantine.
Il a reçu en 1970 le prix Hans Christian Andersen pour l'ensemble de son œuvre et restera l'un des plus talentueux illustrateurs de son époque.
Maurice Sendak s'est éteint le 8 mai 2012 à l'âge de 83 ans (...) "
(www.ricochet-jeunes.org)


Ruth Krauss, Maurice Sendak,
Un trou, c'est pour creuser, traduit par
Françoise Morvan, MeMo, 32 pages, 14 €
 

mercredi 28 septembre 2016

Le philosophe et le romancier

Charles Pépin, Les Vertus de l'échec,
Allary éditions, 232 pages, 18,90 €
Parfois, le philosophe rencontre le romancier.
" Il est des victoires, écrit Charles Pépin,  le philosophe, qui ne se remportent qu'en perdant
des batailles -- énoncé paradoxal mais qui, je crois,
contient quelque chose du secret de l'existence
humaine.  Hâtons-nous donc d'échouer, car alors nous rencontrons le réel plus encore que dans le succès. 
Parce qu'il résiste, nous le soumettons à la question ;
nous le regardons sous tous les angles. Parce qu'il nous résiste, nous y trouvons un appui pour prendre notre élan."

Et Laurent Gaudé, le romancier : " Nous avons perdu. Non pas parce que nous avons démérité, non pas à cause de nos erreurs ou de nos manques de discernement,
nous n'avons été ni plus orgueilleux ni plus fous que d'autres, mais nous embrassons la défaite parce qu'il n'y a pas de victoire et les généraux médaillés, les totems que les sociétés vénèrent avec ferveur, acquiescent, ils le savent depuis toujours, ils ont été trop loin, se sont perdu trop longtemps pour qu'il y ait victoire. Ecoutez nos défaites. "
Laurent Gaudé,
Ecoutez nos défaites, Actes Sud,
286 pages, 20 €

lundi 26 septembre 2016

Les voix de Gaëlle Josse

Gaëlle Josse, De vives voix,
Le Temps qu'il fait, 88 pages,
13 €
" Pourquoi écrire ? Pour éveiller, pour découvrir ma voix. Entreprise d'extraction, d'excavation, de forage, par tous les temps, par tous les vents, jusqu'à atteindre et libérer le gisement enclos dans les gangues du souvenir, de la pensée, de la sensation, le remonter à la surface et lui donner forme. Jusqu'à reproduire la note entendue en songe. Trouver l'accord entre mon écriture et moi, entre ma voix et moi. Me voilà sage-femme et parturiente de ma  propre voix. Partition, parturition. La page blanche, la page vierge, comme l'air qui accueille le chant à venir. Air, aire d'accueil. Essais, tentatives, brouillons, ratures. Arpèges, vocalises. Un jour, la note juste. "

Ces lignes sont tirées du nouveau livre de Gaëlle Josse De Vives voix.
Et Gaëlle Josse, nul ne l'ignore, est la lauréate du Prix des Lecteurs A la Page 2016.
Vous pourrez entendre sa voix tout votre soûl le 18 novembre prochain, date de sa venue à Vichy.

Photo de la bibliothèque personnelle de Gaëlle Josse
par Gaëlle Josse elle-même

dimanche 25 septembre 2016

Rêvez, il en restera toujours quelque chose

Victor Hugo, Le Promontoire du songe,
préface d'Annie Lebrun, L'Imaginaire,
112 pages, 6 €
Hugo, dans Le Promontoire du Songe :
" Rêves, rêves, rêves. Les uns grands, les autres chétifs. L'habitation du songe est une faculté de l'homme. L'empyrée, l'élysée, l'éden, le portique ouvert là-haut sur les profonds astres du rêve, les statues de lumière debout sur les entablements d'azur, le surnaturel, le surhumain, c'est là la contemplation préférée. "

Rimbaud dans Les Illuminations :
" J'ai tendu des cordes de fenêtre à fenêtre, des guirlandes de clocher à clocher, des fils d'or d'étoile à étoile, et je danse. "

Hugo, dans Le Promontoire du Songe encore :
" Tous les matins chacun fait son paquet de rêveries et part pour la Californie des songes. "

Ces mots vous touchent ? Alors, rendez-vous à Marseille, au musée Cantini entre le 17 septembre 2016 et le 22 janvier 2017 pour l'exposition " Le Rêve ". Ou bien procurez-vous son catalogue du même titre.
Il se trouve non loin du canapé rouge.

[Collectif] Le Rêve, Réunion des Musées Nationaux,
193 pages, 35 €
 

samedi 24 septembre 2016

Le Prix Goupil 2016 enfin à Vichy

 L'événement se produira
SAMEDI PROCHAIN,
1er octobre 2016, à 15 h30
en compagnie de Muriel Zürcher,
l'heureuse lauréate du prix.
   A ne manquer sous aucun prétexte,
cela va sans dire.
On en profitera pour étrenner
le nouveau décor du rayon jeunesse.
Intense, non ?
 
 
 
 
 
 
 
 



vendredi 23 septembre 2016

Immersion totale

 Finies les questions de franglais et de globish !
Terminé le libraire et ses remarques intempestives,
plongez-vous directement dans l'original.
Le rayon se trouve non loin de l'entrée,
juste au-dessus des bilingues et jouxtant le théâtre.
 

jeudi 22 septembre 2016

Samedi BD (17)

L'automne n'était pas encore arrivé
lorsque Géraldine reprit, après l'interruption estivale,
la tradition des SAMEDI BD.
Vous n'étiez pas rentré de vacances ?
Dommage, dommage...
Voici  cinq de ses coups de cœurs,
en commençant par un
Pereira prétend qui a scotché le libraire lui-même :
 
Pierre-Henri Gomont, Pereira prétend,
Sarbacane, 160 pages, 24 €

Karl Kerschl, L'Abominable Charles Christopher,
Lounak, 19,95 €

Jean-Paul Eid, Claude Paiement,
La Femme aux cartes postales,
La Pastèque, 232 pages, 23,00 €
 
Pascal Rabaté, La Déconfiture, Première partie,
Futuropolis, 94 pages, 19 €
 
Otero, Confessions d'un enragé,
Glénat, 128 pages, 25 €
Prochain SAMEDI BD le 8 octobre à 11h30 pile.
L'automne sera installé.
Vous aussi.
 

mercredi 21 septembre 2016

Jeux d'enfants

Jean Cayrol, Les Enfants Pillards,
L'Eveilleur, 208 pages, 19 €
" Le chemin était long jusqu'à la villa Les Pervenches, bâtisse de bois et de céramiques avec une véranda un peu bombée comme un ventre, une galerie légère adossée à la façade, le tout dissimulé par une haie de sapinettes.
Il y avait encore le magasin d'alimentation tenu par Rosemonde Pigneux, la fille d'Edgard, une grande épicerie obscure où les enfants retrouvaient leurs odeurs familières, celle du café grillé (une femme tournait une grosse boule avec une manivelle, au-dessus du feu), celle de la saumure des barils d'anchois et de harengs, l'odeur poussiéreuse des légumes secs. Sur le devant du comptoir, des bocaux de bonbons, des bâtons de sucre de pomme, des coupes de pralines, de caramels, d'acidulés? (Plus ils vieillissaient, plus une coudre tendre se formait et enveloppait de sa carapace un noyau citronné ou orangé.) On y vendait également du tabac enfermé dans des pots en grès, des paquets de gris, des étuis de cinq cigarettes. Le désordre était tel que les enfants Princetard se querellaient pour "faire les commissions".
André volait des pruneaux secs, des figues, parfois une mandarine. Jean-Baptiste qui n'était pas admis à collaborer avec son cousin attendait le chapardeur. Il ne ramenait jamais la monnaie. "J'ai les poches trouées", disait-il... "
Le récit de Jean Cayrol, initialement publié au Seuil en 1978, fait certainement la part belle aux insouciances des jeux d'enfants au beau milieu des enfantillages tragiques de l'Histoire : la Première Guerre mondiale. Mais les enfants ne sont pas des anges ; ils ont leur chef, André, qui mène sa bande. Ils  jouent eux-mêmes à la guerre ; ils se toisent ; ils se défient ; ils se font peur : ils s'inventent des pendus dans un grenier et puis, un jour, découvrent un homme à demi noyé sur la plage.
Jean Cayrol ne s'apitoie pas sur le passé, son passé. Les souvenirs s'enchainent, vifs, précis, d'une guerre vers l'autre. André :
" A partir d'aujourd'hui, à marée basse, nous récupérerons les épaves qui pourraient nous servir à renforcer notre défense : coffres, gouvernails, tuyaux acoustiques, cloches de brume (...)
Puis, plus lentement et mesurant ses mots :
... et les armes de toutes sortes que la mer aura rejetées : fusils, grenades, pistolets, cartouchières, obus, torpilles, engins explosifs, mines dormantes, flottantes ou dérivantes..."

mardi 20 septembre 2016

Face à Michaux

Henri Michaux, Face à face,
Bibliotheca Wittockiana, 158 pages, 22 €

" Dessinez sans intention particulière
griffonnez machinalement, il apparaît
presque toujours sur le papier
des visages.
Menant un excessive vie faciale,
on est aussi dans une perpétuelle
fièvre de visages.
Dès que je prends un crayon,
un pinceau, il m'en vient sur le papier
l'un après l'autre, six, quinze, vingt.
Et sauvages la plupart.
Est-ce moi tous ces visages ?
Sont-ce d'autres ?
De quels fonds venus ? "
 
Henri Michaux, Peintures et dessins.
 
Henri Michaux, Coll. privée, (c) SABAM Belgium 2016
 


lundi 19 septembre 2016

A la Page sauvée des eaux !

Cette fois, ça y est !
Après l'inondation de la fin du mois de mai, Géraldine a pu retrouver son rayon jeunesse et BD au sous-sol d'A la Page. Il était temps. Nous étions à l'étroit au rez-de-chaussée et les cartons de nouveautés de la rentrée n'avaient que trop tendance à s'empiler.
Le premier " Samedi BD " de la nouvelle saison avait eu lieu, mais confiné, lui aussi.
Voici de l'air, voici à quoi ressemble le rayon ouvert depuis vendredi dernier. (Il est encore plus beau en vrai que sur les photos...)
C'est Muriel Zürcher, prix Goupil 2016 des Jeunes Lecteurs A la Page, qui viendra l'inaugurer pas plus tard que le samedi 1er octobre.

 



 

dimanche 18 septembre 2016

A coeur-volant rien d'impossible

Philippe Bordas, Coeur-Volant,
Gallimard, 240 pages, 20,50 €
« Chaque soir, Natacha m’apprend la respiration. Elle me donne le sens de Paris et son goût de mer. Dans mon carnet à spirale, j’ai copié un vers ancien qui revêt sa personne comme une peau d’agneau. Elle est née de Paris, bercée à la fontaine des Orateurs sacrés, mais tout en elle, même son habit, supplante l’arrogance des Parisiennes. D’une gaze d’amnésie, elle tamise la violence du monde. Elle n'aperçoit ni les pavés disjoints ni la ronde des séducteurs. Elle oublie la monnaie sur la coupelle
de la pharmacie du drugstore. Ses parapluies restent dans l’autobus et voyagent du Pont-Neuf jusqu’à la porte de Châtillon. Ses pupilles sont envahies d’ajours où des feuilles de bouleau tourbillonnent dans un ciel de Lituanie. Ses yeux regardent pour moi. Son odeur ne me quitte plus. Aux mondes hauts, moyens et bas préside Natacha. » 
Ce passage est extrait du roman de Philippe Bordas, Cœur-Volant paru au mois de janvier dernier. Et le libraire ne l'a pas lu, le libraire l'a laissé filer.
Que compte-t-il faire ? Rattraper le roman perdu, le re-commander pour le recommander. Car cet extrait, où passe un rien de la liberté surréaliste vitale, lui paraît beaucoup.
C'est grâce à Jean-Michel Delacomptée qu'une petite injustice sera réparée dans cette librairie.
 Lettre de consolation à un ami écrivain (où se trouve cité notamment le nom de Philippe Bordas) pose nombre des questions qui traversent l'esprit du libraire et, sans doute, quantité de lecteurs. A commencer par celle-ci : " les romans trop littéraires, c'est-à-dire vraiment littéraires, ennuient-ils le public ? "

Jean-Michel Delacomptée,
Lettre de consolation à un ami écrivain,
Robert Laffont, 152 pages, 16 €


samedi 17 septembre 2016

Bref accès d'humeur lié à un énième cas de traduction de l'anglais sauf le titre

Emma Cline, The Girls, traduit de
l'anglais (Etats-Unis) sauf le titre
par Jean Esch, Quai Voltaire,
334 pages, 21 €
Dans la catégorie " livres traduits de l'anglais sauf le titre " (voir le billet du 28 janvier dernier), le libraire a découvert ce cas qui porte le genre très haut.
Il s'agit du cas The Girls, roman d'Emma Cline publié par Quai Voltaire (Voltaire warf, en français à la mode).
Il fait dire que le titre original de ce roman représentait une difficulté à laquelle aucun élève de la classe de 6e n'aurait souhaité être exposé, même à la fin de son année scolaire : il consiste, ce titre original, dans les deux mots suivants : The Girls. Intraduisibles donc.
Au passage, le libraire propose de réviser de la manière suivante toutes les erreurs de traduction qui émaillent la version française du roman d'Emma Cline :
" Je levai les yeux à cause du rire, et je continuai à regarder à cause des girls (et non des filles, comme l'écrit le traducteur). (...) "
" Ces girls aux cheveux longs (même faute : le traducteur écrit : ces filles aux cheveux longs) semblaient glisser au-dessus de tout ce qui les entourait (...) "
" C'était l'époque où j'examinais et classais immédiatement les autres girls (une fois de plus : girls, et non pas : filles. (...) "
Page  129, le libraire a trouvé la faute de français suivante : " Le dernier homme avec qui j'avais vécu ", qu'il fallait évidemment traduire par : "le dernier man avec qui j'avais vécu. "
Mais tout le monde avait déjà corrigé.

vendredi 16 septembre 2016

Souvenirs, souvenirs

James Edward Austen-Leigh,
Mes souvenirs de Jane Austen, traduit de
l'anglais par Guillaume Villeneuve,
Bartillat, 298 pages, 20 €
James Edward Austen-Leigh était le neveu de Jane Austen. Il a dressé dans ces souvenirs le portrait de sa tante aussi bien au physique que dans ses goûts et son caractère. Le livre, qui parut en 1869, fur un véritable succès et participa le premier à la mythification de l'auteur d'Orgueil et préjugés. Ce qui n'était pas, semble-t-il, le but qu'il recherchait. Son témoignage ne ressemble en rien à une biographie sur-vitaminée. Il se fonde sur des lettres, sur les jugements de ceux qui l'ont connue et sur des impressions personnelles. C'est toutefois toute une époque, sous la Régence anglaise, qui se trouve restituée. Les tons qui dominent sont ceux de la retenue, de l'élégance et de la discrétion. L'exergue de l'avant-propos rédigé par le traducteur résume parfaitement l'atmosphère : " Les bonnes manières sont à ce point liées au bon sens qu'elles ne peuvent en être distinguées. " (Lord Halifax, 1633-1695.)

Joyce Johnson nous entraîne, de son côté, dans d'autres lieux, et d'autres atmosphères. Assurément.
Nous voici à Greenwich Village, à la fin des années cinquante. Parmi la bande à Allen Ginsberg, ses copains Neal Cassady et Jack Kerouac. En d'autres termes dans le milieu beat que Joyce Johnson, la petite amie de Kerouac, nous fait visiter
de l'intérieur.
Le ton ni les valeurs ne sont les mêmes. Ni le langage. Virginia Woolf, qui statufia Jane Austen, " paraissait affreusement privilégiée, née dans le cénacle de la littérature er la soie "
à cette génération de jeunes femmes : " Naturellement, écrit Johnson, nous tombions amoureuses d'hommes qui étaient des rebelles. Nous leur résistions rarement, convaincues qu'ils nous emmèneraient dans leurs voyages et leurs aventures. Nous n'avions pas prévu d'être des rebelles autonomes ; nous n'envisagions pas la solitude. "
Tout comme celui de James Edward Austen-Leigh, le témoignage de Joyce Johnson est personnel et tourne autour de la condition de la femme artiste -- et de la femme d'artiste. Mais, ici, la vitesse, l'intensité  et l'aventure ont pris le dessus. Adieu les bonnes manières et la soie ! Vive les chemises de cow-boys ! " Salut. C'est Jack. Allen m'a dit que vous étiez très gentille. Accepteriez-vous de me rejoindre au Howard Johnson de la 8e Rue ? Je suis au comptoir. Je suis brun et je porte une chemise à carreaux rouges et noirs. "
Ainsi s'annoncent les personnages de cette société-là. 
Joyce Johnson, Personnages secondaires,
traduit de l'anglais (Etats-Unis) par
Brice Matthieussent, Cambourakis,  286 pages, 22 €


jeudi 15 septembre 2016

Voisin voisine

Hélène L'Heuillet, Du voisinage.
Réflexions sur la coexistence humaine,
Albin Michel, 240 pages, 23 €
Le naturaliste américain John Burroughs pouvait encore s’exclamer à la fin du XIXe siècle : « Quand une maison se construit dans mon secteur, je vais presque tous les jours observer la progression des travaux. Quel plaisir de voir votre voisin construire… Un nouveau toit va abriter quelqu’un des tempêtes…»
Comment sommes-nous passés de cette attitude d'accueil à la conviction de nos contemporains
qu' " avoir des voisins est, pour la majorité des personnes interrogées, un handicap, une gêne, non
une chance " ?
Voilà ce qui fait la matière de l'étude d'Hélène L'Heuillet, qui est philosophe et psychanalyste.
" On élit un quartier ou un village, mais les voisins constituent la grande inconnue de toute installation en un lieu. Les déterminations sociales et culturelles peuvent certes jouer dans l'élection d'un lieu où vivre. C'est même un moyen des plus banals, aujourd'hui comme hier, d'éviter la relation à l'altérité, que de rejoindre un quartier où l'on retrouvera des semblables, sociaux ou ethniques. Mais si nous pouvons savoir à l'avance à quelle classe sociale
ou à quelle communauté appartiendront nos voisins, nous ignorons tout des personnes singulières que nous côtoierons. Nous pouvons prévoir à quelle catégorie socio-professionnelle ils appartiendront, mais nous ne savons pas, sauf exception, qui ils sont. "
Vivons-nous face à face ou " posés les uns à côté des autres ", comme le disait Ramuz ? En dessous ou au-dessus ? Les réflexions d'Hélène L'Heuillet montrent en tous cas qu'habiter c'est toujours voisiner. L'île déserte n'existe plus, comme le découvre la protagoniste du Grand jeu, le roman de Céline Minard dont nous causions il y a peu.

mardi 13 septembre 2016

Eloge de la librairie (2)

Pierre Assouline, Dictionnaire amoureux
 des Ecrivains et de la Littérature,
Plon, 890 pages, 25 €
Décidément, nous sommes gâtés ces jours-ci. 
A l'entrée " libraire " du Dictionnaire amoureux des Ecrivains et de la Littérature que publie Pierre Assouline, ceci  :
" Rendons-lui grâce : il doit parfois se transformer en détective alors qu'il s'est déjà fait manutentionnaire,
lui qui s'était engagé dans ce métier par amour de la littérature et passion de la lecture. Si vous croyez que c'est drôle d'être libraire, vous avez presque raison. Quand il n'y aura plus que des librairies en ligne, on rigolera moins. Nous manquerons les perles de leurs clients par eux enfilées en d'irrésistibles colliers. Jean-Louis Chifflet puis David Alliot en ont même fait des anthologies savoureuses.
Cela ressemble aux Brèves de comptoir de Jean-Marie Gouriot sauf qu'il n'y a pas de comptoir. Disons que c'est plus sobre mais pas moins  tordant. " La faute de l'abbé bourré " de Zola pourrait figurer dans les deux recueils. "
Et Assouline d'énumérer quelques autres demandes ébouriffantes qui sont le lot quotidien, telle que
" Liliane est au lycée " d'Homère, " La Veste " d'Albert Camus ou, tout récent, les "Frères Kalachnikov ".
Mais c'est assez parlé de soi (et cassé du sucre sur le dos des clients, ce qui ne doit pas se faire).
Le libraire trouve plus intelligent de se rendre utile, pour une fois, en renvoyant aux notices que Pierre Assouline consacre à quelques classiques peu demandés. Les notices de Pierre Autin-Grenier, Jean Cayrol (dont vient de reparaître Les Enfants pillards), Jacques Chessex, Hugo Claus, Baltasar Gracián, Georges Hyvernaud, André Suarès ou Robert Walser.


Jean Cayrol, Les Enfants pillards,
éditions L'Eveilleur, 208 pages, 19 €
 

Eloge de la librairie

Jorge Carrión, Librairies. Itinéraires
d'une passion, traduit de l'espagnol par
Philippe Rabaté, Seuil, 319 pages, 22 €
" Chaque librairie condense le monde. Ce n'est pas une route aérienne mais un couloir délimité par des étagères, ce qui unit votre pays et ses différentes langues avec de vastes régions où l'on en parle d'autres. ce n'est pas une frontière internationale mais un passage -- un simple passage -- que l'on doit traverser pour changer de topographie et donc de de toponymie et donc de temps : un volume édité en 1976 se trouve à côté d'un autre publié hier, tout juste arrivé et qui sent encore la lignine (composant de la même famille que la vanille) ; une monographie sur les migrations préhistoriques cohabite avec une étude sur les mégalopoles du XXIe siècle ; après les œuvres complètes de Camus, vous tombez sur celles de Cervantès (...) Il vous suffit de vous retourner pour passer d'un genre à un autre, d'une discipline ou d'une obsession à son contraire, souvent complémentaire -- du théâtre grec aux grands romans nord-américains, de la microbiologie à la photographie, de l'histoire de l'Extrême-Orient aux romans populaires du Far West, de la poésie hindoue aux chroniques des Indes, de l'entomologie à la théorie du chaos. "

Le libraire ne pouvait pas tomber sur meilleur éloge pour rouvrir son blog.
Cet extrait est tiré d'un livre-labyrinthe (dans l'esprit des bibliothèques de Borges) intitulé Librairies. Itinéraires d'une passion. C'est le premier de son auteur, Jorge Carrión, essayiste espagnol, traduit en français. Il est le fruit de nombreuses pérégrinations, physiques et mentales, à travers les cinq continents de la géographie et les innombrable continents de l'imagination d'un lecteur.
Ce n'est pas un livre écrit pour épouser le calendrier des prix annuels (et d'ailleurs il n'existe pas de livres de cette sorte, c'est bien connu) ; il est né de l'étrange forme de patience du promeneur et, comme le pas du promeneur, il enjambe les siècles. De Babel à nos jours.